Pour l’amour, l’art, la révolution, contre la machine culturelle, par Annie Le Brun, poète, essayiste

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Objekt-Fantom, 1937, Toyen

« La médiocrité de notre univers ne dépend-elle pas essentiellement de notre pouvoir d’énonciation ? »

Yeux de feu perçant les ténèbres du présent aux aveuglantes lumières, Annie Le Brun est une vigie.

Il est bon de la lire pour se rappeler les noirs mystères de la condition humaine, et les éblouissements possibles, par l’image et le verbe (Sade, Jarry, Lautréamont, Artaud, Roussel, Ivsic).

A l’occasion des cent ans du Manifeste du surréalisme, d’André Breton, les éditions Flammarion republient, trente-tois ans après son apparition tranchante, l’essai Qui Vive – complété de cinq textes plus récents -, soit la tentative de traverser l’asphyxie culturelle (célébrations, discours, expositions) pour ranimer l’énergie insurrectionnelle d’un mouvement révolutionnaire (triade art-poésie-amour).

Il s’agit d’abord de se renouveler intégralement, de se libérer par l’image désarrimée de la raison raisonneuse/raisonnante, de dépasser, au nom du « fonctionnement réel de la pensée » (André Breton) les vieilles antinomies dans lesquelles se complaisent les asservis volontaires et autres donneurs de leçons.   

On entend beaucoup d’idioties sur André Breton (la chanson de la mauvaise réputation qu’a si bien connue Guy Debord), Annie Le Brun rétablit la barre, et nous fait entendre son génie : tenir ferme sur son désir, faire de la révolte un art de vivre, tout lâcher, sauf la merveille (synchronicités, phrases d’appel, trame secrète et enchantée de l’existence).

Le surréalisme selon l’essayiste ? « l’éclair comme pont entre il était une fois et il sera une fois. »

Surgi nu du tonneau des mers comme Diogène portant lanterne dans la cité grecque, Arthur Cravan est rappelé (phrase parfaite pour notre époque) : « Dans la rue on ne verra bientôt plus que des artistes et l’on aura toutes les peines du monde à y découvrir un homme. »

Notre forêt mentale est en danger, notre sensibilité est colonisée par l’image prise en otage par le capital, il nous faut démettre les sortilèges du spectaculaire intégré, en reconsidérant le surréalisme comme machine de guerre nous permettant de reconquérir notre souveraineté.

L’amour est à réinventer, « le monde est à repassionner » (Annie Le Brun).

Je relis Qui vive, et note à la volée : « insoumission sensible », « c’est ce qu’il y a eu d’inactuel dans le surréalisme qui peut seul lui donner encore une actualité », « défendre en chacun ce qu’il y a d’inaccaparé », « désertion », « la conscience poétique comme seul critère intellectuel et moral », « solitude », « sauvagerie », « forêt de Brocéliande », « liberté du sens », « embrasement », « commencement », « œil ouvert de la jeunesse », « sève de l’émotion ».

L’image poétique ne nous apportera pas le confort de la quiétude, mais le réveil de sauvegarde.

Méfions-nous de l’esthétisme, cette plus-value, quand l’inattendu de la formule est d’abord une énergétique, une découverte alchimique, un abus, une implosion.

Debord : « La formule pour renverser le monde, nous ne l’avons pas cherchée dans les livres, mais en errant. »  

Apollinaire (Le Musicien de Saint-Merry) : « Je chante la joie d’errer et le plaisir d’en mourir. »

André Breton a cette phrase géniale dans La Lampe dans l’horloge (1948), alors que l’on nous somme d’être des humanistes pour ne point en voir la monstruosité logique : « Cette fin du monde n’est pas la nôtre. » 

Annie Le Brun, Qui vive, Considérations actuelle sur l’inactualité du surréalisme, Flammarion, 2024, 224 pages

https://editions.flammarion.com/Auteurs/le-brun-annie

https://www.leslibraires.fr/livre/23536445-qui-vive-considerations-actuelles-sur-l-inactualite-du-surrealisme-annie-le-brun-flammarion?affiliate=intervalle

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