
©Damien MacDonald
« Nous remontons des catacombes du capitalisme. Bientôt nos armes sortiront de sous le boisseau où elles étaient planquées. Orphiques et orphelins, nos regards deviennent constellations. »
Damien MacDonald est vraiment très doué.
Auteur de bandes dessinées et commissaire d’exposition, cet artiste ne s’intéresse pas seulement à l’ésotérisme, il en est en France l’un des agents actifs (de rite écossais) les plus investis, en pensée et actes pratico-magiques (ses essais, albums et romans graphiques).

©Damien MacDonald
Publié à l’occasion des cent de la parution du Manifeste du surréalisme, Le rayon invisible, qui considère ce mouvement de raison insurrectionnelle et d’entrée dans le merveilleux existentiel non pas comme un fétiche du passé, mais comme un en-avant, est un volume graphiquement superbe, d’inventions constantes.
Une phrase géniale d’André Breton le guide : « Le surréalisme est le rayon invisible qui nous permettra un jour de l’emporter sur nos adversaires. »
La poésie n’est pas un domaine réservé de la littérature, elle est le cœur du monde, l’union entre les vivants et les morts, et le dépassement des vieilles antinomies stériles.

©Damien MacDonald
L’inconscient débondé est un continent à explorer, nous sommes plus que ce que nous croyons être, l’art nous le rappelle, ici avec beaucoup d’umour (Jacques Vaché) et de sensualité (Eros nous rend pleinement vivants).
Les protagonistes (portraits dessinés en début et fin d’ouvrage) s’appellent (je cite en intégralité la liste de ces héros, dont chacun est une pierre angulaire dans le vaste édifice d’une liberté nouvelle – écrire leur nom me protègera) Valentine Hugo, Wilfredo Lam, Pierre Mabille, Toyen, Unica Zürn, René Magritte, Mann Ray, Mimi Parent, Georges Bataille, Marcel Mariën, Leonora Carrington, Remedios Varo, Paul Nougé, Claude Cahun, Paul Eluard, Aimé Césaire, Antonin Artaud, Joyce Mansour, Dorothea Tanning, Robert Desnos, René Crevel, Jacqueline Lamba, Ruan Miro, Sarane Alexandrian, Marcel Duchamp, Ithell Colquhoun, Victor Brauner, Giorgio de Chirico, Maria Martins, Jean Benoît, Philippe Soupault, Meret Oppenheim, Max Ernst, Ferdinand Alquié, Maurice Baskine, Ado Kyrou, Léo Malet, Brassaï, Clément Malgoire-Saint-Aude, Ghérasim Luca, Achille Chavée, Nusch Eluard, Annie Le Brun, Aube & Yves Elléouët, Lise Deharme, Georges Limbour, Jacques Hérold, Peter Kral, André Pieyre de Mandiargues, Jane Graverol, André Masson, Max Morise, Roger Vitrac, Benjamin Péret, Francis Picabia, Raymond Queneau, Louis Aragon, Georges Ribemond-Dessaignes, Salvador Dali, Arturo Schwarz, Kurt Seligman, Yves Tanguy, Théodore Fraenkel, Bona, E.L.T. Mesens, Jean Arp, Lee Miller, Jacques Baron, Hans Bellmer, Dora Maar, Joë Bousquet, Luis Buñuel, Leonor Fini, René Char, Michel Leiris, Nelly Kaplan, Paul Delvaux, Alberto Giacometti, Roberto Matta, Georges Henein, Stanislas Rodanski, Jean-Louis Bédouin, Robert Benayoun, Alice Rahon, Vilhel Bjerke-Petersen, Michel Carrouges, Charles Duits, Maurice Blanchard, Simone Kahn, Léona Delcourt, Pierre Molinier, Jacques-André Boiffard, Jacques Prévert, Octavio Paz, Wolfang Paalen et Mina Loy.
En préface, Didier Ottinger, co-commissaire de l’exposition ayant lieu au Centre Pompidou (4 septembre 2024 – 13 janvier 2025) que ce livre accompagne, évoque le graal du rayon vert, associé au chakra du troisième œil, ayant pu prendre la forme des « vases communicants » chers à Breton et Eluard et du « point sublime » tel qu’évoqué par le père de la dialectique menant in fine à l’unité des contraires, Hegel.

©Damien MacDonald
Multipliant les cases au symbolisme remarquable, Damien MacDonald, adepte de la ligne claire, crée des images de l’ordre de l’explosante fixe mentale.
Une femme aux multiples mamelles, que regarde un parterre se spectateurs assis dans des fauteuils rouges, se penche, tétée par des faons. Elle a baissé sa robe sur ses cuisses, une lumière l’éclaire à la façon d’un projecteur.
Les gargouilles d’une cathédrale dégueulent une pluie acide écarlate.
Des pythies de delphinarium, nues, se rassemblent autour d’un feu.
Une jeune fille saute à la corde, que tiennent dans leur gueule deux tamanoirs placés symétriquement.
Un « serpend » forme un nœud coulant.
L’assemblée nationale, présidée par un alien, est composée de députés nus.

©Damien MacDonald
Intitulé Au bal des ardents, la première partie du Rayon invisible imagine la rencontre d’une écrivaine très sexy au prénom alchimique, Flamelle, ayant décidé d’écrire une fresque historique centrée autour de la figure d’André Breton, et d’un producteur assez ignorant de la geste surréaliste, le cinéma étant considéré par ce mouvement révolutionnaire comme l’enjeu majeur de la modernité.
On apprend donc par la bouche de cette rousse pulpeuse quantité d’informations sur l’origine et le développement de cette avant-garde artistique et politique (ne pas oublier la rencontre au Mexique de Breton et de Trotski).
Utilisant une sorte de pistolet laser trouvé dans les buissons situés en contrebas de la Tour Saint-Jacques à Paris, haut lieu des adeptes de l’ésotérisme, Flamelle, pulvérisant ainsi les certitudes les plus bornées, découvre, guidée par un homme à bec de moineau, un autre monde.
Le rayon invisible opère, la révolution surréaliste peut continuer, d’abord par le retour d’une petite communauté de défunts géniaux vivant dans un phalanstère sis dans les royaumes souterrains.
Mourir à soi pour devenir vivant, tel est le chemin de la souveraineté retrouvée.
Oui, André Breton (tête de sphinx) et Damien MacDonald (allure d’agent de rock star), vous l’avez compris, la vie demande à être déchiffrée comme un cryptogramme.
Le dieu Pan n’est pas tout à fait mort, une femme aux lèvres d’amande parfaite a su le persuader de revenir.

©Damien MacDonald
« Je me suis toujours demandé, s’interroge Flamelle, qui était cette femme nue dans les bois un soir d’orage qui hante tous les récits surréalistes. Maintenant, je le sais : c’était moi. »
En postface, Damien MacDonald se confie : « Depuis que j’ai recommencé à rire, j’ai réalisé que nous sommes plus nombreux que les moribonds ne le croient. Toute notre famille dépareillée de libertaires attend dans les marges du monde. Et c’est donc pour vous que j’ai rêvé ces pages. »

Damien MacDonald, Le rayon invisible, préface de Didier Ottinger, direction de la collection Denoël Graphic Jean-Luc Fromental, direction graphique Nicolo Giacomin, Editions Denoël, 2024, 118 pages
https://www.denoel.fr/catalogue/le-rayon-invisible/9782207181812
Un tarot (vingt-et-une arcanes) spécialement dessiné par Damien MacDonald et publié à 600 exemplaires peut accompagner la lecture de cette œuvre

Max Ernst, « L’ange du foyer (Le triomphe du surréalisme) », 1937 © Adagp, Paris. Vincent Everarts Photographie
Ouvrage publié à l’occasion Surréalisme, l’exposition du centenaire, qui aura lieu au Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, du 4 septembre 2024 au 13 janvier 2025 pour célébrer les cent ans du Manifeste du surréalisme d’André Breton – commissariat Didier Ottinger et Marie Sacré
https://www.centrepompidou.fr/fr/programme/agenda/evenement/gGUudFS
Lire mon double entretien avec Damien MacDonald : https://lintervalle.blog/2021/05/22/notre-dame-de-paris-chef-doeuvre-alchimique-par-damien-macdonald-dessinateur-1/ et https://lintervalle.blog/2021/05/23/notre-dame-de-paris-chef-doeuvre-alchimique-par-damien-macdonald-dessinateur-2/

https://www.leslibraires.fr/livre/23584767-le-rayon-invisible-damien-mcdonald-denoel