
©Antonio Jiménez Saiz
« Et quel avantage cette poupée aurait-elle sur les danseurs vivants ? » (Heinrich von Kleist, Sur le théâtre de marionnettes, 1810)
On ne va pas se mentir, l’œuvre du photographe poète de la blessure et de la grâce Antonio Jiménez Saiz peut être considérée comme l’une des plus importantes qui soit actuellement, pour sa beauté plastique, sa recherche anthropologique, sa traversée radicale de la mascarade sociale, son sens du sacré vécu comme acmé de la présence.

©Ambre Pinguet
Son dernier opus, avec l’artiste Ambre Pinguet, pour la série La paix, nulle part ailleurs est une confrontation au sommet entre deux êtres que tout oppose apparemment, cependant unis dans une même dimension d’opacité et d’incommunicabilité imposant d’emblée à leurs regardeurs un silence profond.
Deux visages, deux peaux, deux mutismes, deux âges différents.
Une jeune femme, un homme bien plus âgé.

©Antonio Jiménez Saiz
Le yin et le yang, les polarités masculine et féminine, le vertige identitaire.
Lui, en trente-deux pages non agrafées, le modèle unique depuis quelques années, le bloom, l’homme ordinaire vêtu de tragique.
Elle, en seize pages de plus petit format imprimées sur cahier détachable inséré dans l’ensemble, la nymphe grave, l’inconnue à travers le miroir, la femme craquelée.

©Ambre Pinguet
Ambre Pinguet se contemple comme on observe les métamorphoses d’un fantôme, forme s’effaçant, proche de la disparition, persistance chimique d’une statue aux yeux d’horizons lointains que recouvre la fine dentelle des pointes de sel d’une émulsion aux desseins mystérieux.
On s’approche, elle s’éloigne ; on s’éloigne, elle s’approche.
Ombres et végétaux se superposent à son visage relevant probablement du nombre d’or : triangle des traits de contour, amande des yeux, rotondité du menton et des iris, horizontale des lèvres, verticale de l’arête du nez.

©Ambre Pinguet
Cette géométrie n’est pas fortuite : elle est un porche, une arche, une entrée majeure dans l’invisible.
On peut penser pour la mélancolie et la fureur rentrée à Chantal Akerman, à l’aube d’une œuvre à déployer, aux frontières à explorer et franchir, aux récits d’aliénation conduisant aux parcours de libération.
Pendant ce temps, qui est celui de la quête d’un grand souffle, Antonio Jiménez Saiz flashe sur fond blanc son sujet, homme aux cheveux ras tournant sur lui-même comme sur un socle mobile.
Une ombre le précède, la chair, sous l’armure de l’imperméable, donnant la sensation d’être essentiellement projection de noir.

©Antonio Jiménez Saiz
On fait jouer les deux cahiers l’un sur l’autre, on crée son propre montage, on est un marionnettiste.
L’impression d’absence de sentiment chez les personnages ici représentés n’est pas de l’ordre de l’indifférence, mais une tentative d’échapper à la sentimentalité par l’ouverture de la conscience.

Antonio Jiménez Saiz & Ambre Pinguet, La paix, nulle part ailleurs, autoédition, septembre 2024 – 30 exemplaires numérotés
https://www.instagram.com/_pinombre/?api=postMessage
https://www.instagram.com/antonio_jimenez_saiz/

©Antonio Jiménez Saiz
Antonio Jiménez Saiz expose l’ensemble de la série La paix, nulle part ailleurs au Comptoir du livre, à Liège, du 4 octobre au 9 novembre 2024
Vernissage le 4 octobre à 18h
Bonjour, j’aimerais mieux comprendre le titre : « La paix, nulle part ailleurs »
Merci !
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