New York, à l’instinct décisif, par Jean-Christian Bourcart, photographe

©Jean-Christian Bourcart

« Me souvenant des photographes dont le regard dévoila une Amérique réelle, au-delà du mythe, et encouragé par l’achat de quelques photographies par le MoMA, un réflexe de survie artistique me poussa alors à pratiquer une sorte d’anti-photographie, instinctive et sauvage, avec un petit appareil d’amateur, shootant sans trop cadrer ce qui m’entourait. » (Jean-Christian Bourcart, gagnant sa vie à New York comme photographe corporate et showbiz)

Est-on certain d’avoir vécu ce que nous avons vécu ?

Est-on certain de ne pas être de perpétuels somnambules ?

L’art n’a-t-il pas cette faculté de nous réveiller, ou de nous rappeler cette dimension fondamentale chez les humanoïdes terminaux : nous ne sommes pas vraiment de ce monde ?

©Jean-Christian Bourcart

Muni de son appareil photographique comme troisième œil portatif, Jean-Christian Bourcart traverse le monde, ses personnages et ses situations, comme un enfant, un guerrier et un égaré (triade baudelairienne).

Il y a chez lui de la stupéfaction et de la compassion, de la capture et de l’accueil, des éblouissements et des sourires tristes.

A l’occasion d’une donation de ses archives au musée Nicéphore Niepce de Chalon-sur-Saône, sont publiés en fac-similés ses carnets de recherche new-yorkais.

Le photographe marche dans la ville géante, absorbe les signes qu’elle lui envoie, fixe des traces, des scènes, des visages, des éléments d’architecture, des incongruités, des êtres ensommeillés, et des dangers.

©Jean-Christian Bourcart

La Société du spectacle – american dream si l’on veut – produit la mort, des missiles, des effondrements, des clubs sado-maso, des relégués crevant dans la rue.

Jean-Christian Bourcart est à sa façon un moraliste, mais sans pesanteur, ne jugeant pas mais sachant se désoler intérieurement, acceptant le cri et la souffrance comme des données ontologiques.

La salle est vide, nous sommes désormais des personnages errant sur un écran géant, une vitre à peu près incassable nous sépare des autres et de nous-mêmes.

©Jean-Christian Bourcart

Accompagnant la publication de ses mémoires, Naître sans cesse (éditions L’écailler), Carnets new-yorkais, qu’édite Atelier EXB – cinquante planches de quatre images reproduites sur un ensemble de plus de mille – est un livre d’une très grande richesse visuelle, comme une grammaire personnelle, mais surtout une traversée du pandémonium contemporain.

Des avions déments ont foncé sur des tours démentes, des malheureux ont péri, la destruction est une Béatrice monstrueuse.

Arrivé à New York en 1998, le photographe ne cherche pas mais trouve, des parkings, des vitrines, des caméras de surveillance, des graffitis, des valises éventrées, des moquettes d’hôtel et des cops, des néons publicitaires et des décors, des visages sous un rideau de pluie comme chez Leiter et des ciels (hélicoptères, drones, étourneaux).

©Jean-Christian Bourcart

Il y a ici du Sue perdue dans Manhattan, ce film d’Amos Kollek sorti aux Etats-Unis en 1997, où la merveilleuse Anna Thomson, assise sur un banc, lunettes couvrant des yeux désespérés, offre ses seins lourds à un clochard afin qu’il la tète et retrouve vie en la faisant renaître.   

Carnets new-yorkais fait le constat d’un monde sous menace (attentats du 9/11, guerre d’Irak, crise économique des subprimes…) et d’une civilisation à bout de souffle.

Chaque page offre la vision d’un quadriptyque en une perception mosaïque de la ville de tous les dangers et substances.

L’œil et l’esprit associent, superposent, comparent, montent, créent des récits elliptiques, des narrations pleines de trous béants.

Ça serpente et ça se dresse, ça se couche et ça flotte, ça tangue et ça glisse, ça se déchire et ça écrit de toutes parts « Father, save-us ! »

©Jean-Christian Bourcart

On tourne autour d’une kaaba bancaire surmontée d’un drapeau américain.

Frontières, parias, parcs.

Pont de Brooklyn, fissures, portrait de John Lennon et Yoko Ono chantant l’amour.

Grillages, poussières, comics.

Des robots regardent un téléviseur, ou n’est-ce pas plutôt un téléviseur qui regarde des robots ?

Carnets new-yorkais est plus qu’un livre, c’est un memento mori.

N’oublie pas que tu vas périr.

N’oublie que tes enfants sont déjà des cadavres.

N’oublie pas que l’image est une Véronique, et que partout règne, dans les backrooms comme dans les autobus, dans les halls d’immeubles comme dans les salles de jeux, le Christ de miséricorde, qu’il soit cri ou grâce.  

Le chaos est déjà un cosmos, tout est parfait qui croit n’être que puissance de catastrophe.

Jean-Christian Bourcart, Carnets new-yorkais, textes Philippe Artières, Guillaume Blanc-Marianne et Jean-Christian Bourcart, édition Nathalie Chapuis assistée de Camille Cibot, conception graphique Elisabeth Werter, fabrication François Santerre, Atelier EXB, 2024

https://jcbourcart.com/p.php?p=pages%2F04-Books%2F01-Carnets_new-yorkais

https://jcbourcart.com/

©Jean-Christian Bourcart

Exposition éponyme à la galerie Les Filles du Calvaire, du 24 octobre au 30 novembre 2024

https://www.fillesducalvaire.com/artists/94-jean-christian-bourcart/overview/

©Jean-Christian Bourcart

Exposition Jean-Christian Bourcart, La vie est un rêve et les images en sont la preuve, au musée Nicéphore Niepce (Chalon-sur-Saône), du 15 novembre 2024 au 19 janvier 2025

Vernissage le vendredi 15 novembre – 18h45

https://m.museeniepce.com/index.php?/exposition/futures/Jean-Christian-Bourcart

Lire ma chronique de Naître sans cesse publiée le 26 septembre 2024 :

https://lintervalle.blog/2024/09/26/vivre-cest-du-rab-par-jean-christian-bourcart-photographe-ecrivain/

https://www.leslibraires.fr/livre/23805265-carnets-new-yorkais-jean-christian-bourcart-xavier-barral?affiliate=intervalle

https://www.leslibraires.fr/livre/23576910-naitre-sans-cesse-jean-christian-bourcart-ecailler-du-sud?affiliate=intervalle

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