Paysannes, rester droites, par Alexis Vettoretti, photographe

 ©Alexis Vettoretti

« Pendant plus de dix ans j’ai frappé à ces portes. Avant de toquer, je me demande qui vit de l’autre côté. Je regarde, j’écoute, j’imagine. A chaque porte qui s’ouvre, je découvre un monde, celui que l’on appelle paysan. D’abord distant, il finit par devenir accueillant. On m’invite à entrer dans la cuisine, à l’abri du froid et du vent en hiver, ou de la chaleur écrasante de l’été. Face à moi, une dame intriguée, qui ne comprend pas bien ma présence ni ce qu’elle peut faire pour moi. Pourtant, la compagnie d’un étranger s’intéressant à elle est une chose agréable, une anecdote à raconter plus tard aux voisins, aux enfants, à l’infirmière ou à soi-même. » (Alexis Vettoretti)

Alexis Vettoretti pratique la photographie comme un acte anthropologique de don/contre-don.

Une rencontre, des silences, un échange de paroles, du dévoilement, une photographie considérée comme un échange d’humanité, de la gratitude.

 ©Alexis Vettoretti

Paysannes, que publient Les Editions Ulmer, rend hommage à ces femmes nées entre les deux guerres terminales du XXe siècle, restées chez elles, dans leur ferme, anachroniques et pourtant essentielles en nos temps de désorientation connectée. 

Composé de portraits réalisés à la chambre grand format 4×5, cet ouvrage de grande pudeur montre des femmes à la peau ridée et aux habits d’autrefois, dans leur cuisine, leur buanderie, leur salon.

Elles sont là, debout, photographiées en plan-chevilles, ce sont nos grands-mères tant aimées, nos vieilles tantes oubliées, nos mères survivantes.

« Installer la chambre photographique dans la cuisine, poursuit Alexis Vettoretti, là où l’on entre, avec la table au centre pour s’asseoir et bavarder. Le cadre se crée et le portrait se construit doucement, au rythme des pas lents qui amènent cette femme de paysan jusque devant l’appareil. Son regard plonge dans l’objectif. Le silence se brise lorsque je déclenche et fige le temps en un clic. Une voix me confie une vie bientôt finie, semblable à celle entendue dans d’autres fermes. Les années se confondent, on cherche à se souvenir. « C’était différent à l’époque, c’était dur. Mais aujourd’hui aussi. » »

 ©Alexis Vettoretti

Paysannes est un travail mémoriel, une sorte de conservatoire pour temps révolus, où l’on entend des paroles de vérité, belles et tristes : « J’ai toujours ri dans la vie, même dans les moments difficiles. » (Paulette, née en 1924 en Ardèche) / « J’aidais mon père avec les brebis. Je les gardais, je faisais la traite et, à côté, je travaillais comme servante. Je ne me suis pas mariée car, si c’est pour que les hommes ne restent pas avec leur femme, il vaut mieux ne pas se marier. » (Antoinette, née en 1928 en Aveyron) / « Au moment des vendanges, j’étais contente, je sortais de la maison. J’ai aimé ma campagne, je n’aurais pas voulu vivre autrement. » (Marie-Thérèse, née en 1933 en Ardèche)

Il y a parfois une canne, les yeux sont fatiguées, les dos sont souvent voûtés, tenir debout est une affaire physique mais aussi un objectif d’ordre moral.

Marie-Hélène Lafon voit des mains : « Je ne peux pas ne pas voir les mains, elles d’abord, elles toujours ; les mains et leur litanie de chair, leurs tavelures, leur usure, leur douceur et leurs aveux. Les mains sont un paysage, elles sont plus nues, moins défendues que les visages. Quand elles ne s’enfoncent pas dans des poches, l’une ou l’autre, ou les deux, quand elles ne se nouent pas sur le pommeau d’une cane, quand elles ne sont pas sagement croisées, elles pendent, elles s’abandonnent, elles embarrasseraient. »

 ©Alexis Vettoretti

Sur les bords du cadre des photographies apparaît souvent la mention « Kodak PORTRA 160 », non par effet de chic, mais pour rappeler que tout cela – préserver en un rectangle de vision les visages, les corps, les lieux – relève malgré tout de l’art de la magie, et du travail collectif (un artiste, une entreprise fabriquant des pellicules, un labo).

Mais Paysannes n’est pas qu’une succession de portraits, aussi dignes et touchants soient-ils, c’est aussi un livre de paysages très beaux, très nus, très rudes, unis dans un chromatisme superbe, prés très verts, ciels très gris, terres très brunes, pierres très noires, arbres très seuls.  

 ©Alexis Vettoretti

Je te vois maman, avec ta blouse, ta volonté de bien faire pour les tiens, tes fragilités (pas d’études, pas d’amis, tout pour ta famille), tes pleurs, tes hantises, ta vie de femme si peu libre au fond.

Angèle, née en 1925 dans le Morbihan : « J’ai fait ce métier parce que je n’ai pas eu le choix. Tout le monde n’a pas la chance d’être heureux. »

Alexis Vettoretti, Paysannes, texte de Marie-Hélène Lafon, conception graphique et réalisation Guillaume Duprat, Julia Verneau, Les Editions Ulmer, 2024, 128 pages

https://www.alexisvettoretti.com/

 ©Alexis Vettoretti

https://www.editions-ulmer.fr/editions-ulmer/paysannes-999-cl.htm

 ©Alexis Vettoretti

https://www.leslibraires.fr/livre/23803291-paysannes-marie-helene-lafon-ulmer?affiliate=intervalle

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