
©Alice Pallot
« Une lumière rouge incandescente irradie et convulse les images. Elle les déréalise. Les photographies semblent asphyxiées par la fluorescence de ce rouge inquiétant. Ce rouge est celui de la longueur d’onde la plus propice à la photosynthèse, au développement des plantes, de certaines bactéries et enfin, des algues. » (Luce Lébart)
Le travail photographique au long cours qu’effectue Alice Pallot sur et à partir des algues toxiques en Bretagne, particulièrement dans les Côtes d’Armor, est fondamental.
Il a déjà été maintes fois commenté, a donné lieu à plusieurs expositions – d’abord avec la Résidence 1+2, à Toulouse, initiatrice du projet ; à la Villa Perochon, à Niort ; au Hangar, à Bruxelles ; à la MEP ; à Paris Photo -, et semble se prolonger/ramifier/approfondir sans cesse.
Avec le troisième volet de ses recherches intitulé Red Bloom, deuxième livre de la série CIVIS MARITIMUS des éditions The Eyes, l’artiste belge explore un peu plus encore la double dimension de toxicité et de dangereux enchantement possible – les images possèdent ce sublime que Rilke identifiait au commencement de la terreur – de ces algues envahissantes, dites « maudites », ou « tueuses », lorsque, échouées sur les grèves, elles commencent à pourrir en dégageant un gaz fétide pouvant être fatal.
Se situant à la rencontre de l’art et de la science, Alice Pallot expérimente, ne se satisfaisant pas d’une supposée zone de confort et des avancées acquises.
D’un registre science-fictionnel, les images de Red Bloom matérialisent le rayonnement du soleil contribuant au développement des algues délétères, des cultures poussant durant plusieurs semaines sur les tirages, leur octroyant une organicité à la fois fantastique et visuellement inédite, dans une beauté plastique qui déroute.

©Alice Pallot
« Les photographies, précise Luce Lebart, s’épaississent, se gondolent et se contorsionnent sous les effets de la pression des gaz et des microalgues. »
L’artiste ne masque pas la merveille sous l’alerte, puisqu’ici tout est d’une somptuosité inquiétante : si son travail relève en effet d’une prise de conscience sur les dangers sanitaires importants induits par la présence de ces algues pour les populations comme pour les animaux, la splendeur de ses photographies témoigne du mystère du vivant révélé dans son héraldique spécifique.
Favorisées par le déréglément/réchauffement climatique et la pollution des sols due aux intrants chimiques de l’agriculture intensive – l’or du porc breton nourri au maïs, pour synthétiser un peu vite -, les algues toxiques métaphorisent la capacité folle des humains à dévaster l’écosystème qui les fait vivre.
Publié sous forme de cahier à trous, comme ceux que possèdent les étudiants pour prendre en note le cours, Red Bloom donne une couleur sang aux algues indésirables – photographiées à l’infrarouge -, son corpus d’images relevant d’une esthétique de la beauté malade chère à Charles Baudelaire.

©Alice Pallot
Red Bloom est un magma de formes incandescentes, un big bang, le début et la fin de l’univers.
La nature n’est pas en soi malade, c’est l’humain qui l’intoxique.
Crabillon se déplaçant sur une masse visqueuse, petits pois verts comme des bubons prêts à éclater, baie de film dystopique.
Nous sommes sur Terre, ou dans l’espace, sur Mars, ou sur quelque planète inconnue.
Chaque photographie est un cosmos, l’infiniment petit consonnant avec l’infiniment grand, et probablement, sur un plan ésotérique, avec nos propres turbulences internes.
On meurt dans la polychromie.
Le paysage s’enflamme.
On se couche sur le sable dans un tombeau de végétaux magnifiquement épouvantables.

©Alice Pallot
Est-ce ceci, demain ?
Les natures mortes d’Alice Pallot sont des acmés de vie parcourus de météorites de rayonnements rouges de photosynthèse.
Chers amis, pour célébrer avec chic notre disparition, vous reprendrez bien un verre de nitrate ?

Alice Pallot, Red Bloom, préface (français/anglais) Luce Lebart, entretien (français/anglais) animé par Andreina de Bei, direction artistique et design graphique Sarah Boris Studio, édition Vincent Marcilhacy & Véronique Prugnaud, The Eyes, 2024
https://theeyes.eu/livres/red-bloom/

©Alice Pallot
Exposition « Science/Fiction — Une non-histoire des Plantes », à la MEP (Paris), du 16 octobre 2024 au 19 janvier 2025
https://www.mep-fr.org/event/science-fiction-une-non-histoire-des-plantes/