La figure spectrale de notre quotidien, par Anaïs Boudot, photographe, et Michel Poivert, historien de l’art

©Anaïs Boudot

Les photographies d’Anaïs Boudot possèdent le charme des manuels scientifiques du début du XXe siècle, mais quelque chose vient les déranger, une drôlerie, une fantaisie, une dimension fantastique, ainsi que les signes patents de notre contemporanéité (des écrans de téléphone portable passés au filtre de ses expérimentations et pratiques de tirage). 

On est ici du côté de l’inquiétante étrangeté, des visions nocturnes, et de la revue Minotaure, mais aussi de la volupté dans la façon de savourer l’épaisseur du temps, qui est moins celui de l’horloge que celui, sans chronologie mortifère, issu de la traversée des miroirs.

Adepte des procédés anciens, Anaïs Boudot, dont les œuvres d’essence ésotérique sont immédiatement reconnaissables – la marque d’un style bien à elle -, a dialogué avec Michel Poivert à l’issue d’une résidence, initiée par Christine Ollier, ayant eu lieu à Perche-en-Nocé, à l’automne 2023.

©Anaïs Boudot

Observant la série La colonie intérieure, l’historien de l’art s’enchante : « Voici venue la figure spectrale de notre quotidien. »

« L’artiste réalise, précise-t-il, des tirages gélatino-argentiques sur plaques de verre d’une sélection des images archivées dans son smartphone, plaques dont elle enduit le revers d’une peinture dorée, procédé que l’on appelle orotone. L’objet-image est devenu unique, fragile, précieux mais pérenne, tout l’inverse d’une image intangible, partageable, duplicable, « liquide ». Arrachée au flux du scroll, voilà l’image embaumée. »

 Il y a du surréalisme chez Anaïs Boudot, qui n’est pas que pure fantasmagorie, mais réalité révélée/augmentée par l’imaginaire et les ressources de l’inconscient.

La mémoire est abordée comme une matière mouvante, sorte de magma visuel dans lequel se plantent des images-fétiches.

C’est un scarabée posé sur les doigts d’une main ouverte : comment ne pas penser à Edgar Poe, mais aussi à Carl Gustav Jung, voyant un carabidé venir à lui au moment où une patiente lui raconte le rêve d’un scarabée d’or – expérience donnant au psychologue des profondeurs l’intuition de l’écriture du destin et de la synchronicité ?

©Anaïs Boudot

Tout peut se passer lorsque l’on marche comme l’artiste sur le chemin de Rambouillet, et que l’esprit est ouvert à l’inédit.  

Tiens, c’est une fougère à deux têtes, comme la langue d’un serpent – autre animal hautement symbolique – donnant le sentiment qu’elle cherche à s’exprimer.

Un feu d’artifice, les figures du tarot de Marseille – tirer des images comme on tire des cartes ? -, une ronce souveraine comme un sceptre, un assemblage de cailloux striés de blanc.

Pour Anaïs Boudot, le regard porté sur la matière est une façon d’entrer dans le spirituel.

©Anaïs Boudot

Un tombeau de pommes, un chat noir perché, une cascade.

La merveille est là, disponible, à portée de main : c’est un trèfle à quatre feuilles, un corps nu plié comme un végétal attendant la venue du soleil, des marques de givre sur des plantes.

Un squelette contemple le spectateur en riant : nous sommes peu de chose, et pourtant capables de l’impensable.

©Anaïs Boudot

Nous sommes morts, mais nous ne le savons peu, des images en témoignent, dans une jubilation d’épouvante quelquefois, paradoxalement sans effroi.

Screenshot

Anaïs Boudot & Michel Poivert, La colonie intérieure, Rencontre, coordination éditoriale Christine Ollier et Patrick Le Bescont, direction artistique Christine Ollier et Corinne App, conception graphique Corinne App, suivi de publication Patrick Le Bescont, collection Les Carnets dirigées par Christine Ollier, Filigranes Editions / Art Culture & Co, 2024

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©Anaïs Boudot

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