©Bernard Guillot
Peu connu aujourd’hui, le peintre et photographe français Bernard Guillot né à Bâle en 1950 se prête pourtant à la légende, sa vie se déroulant pour une grande part entre Paris, le Massif central et l’Egypte, son pays d’adoption, l’artiste passé d’abord par les Etats-Unis et une bonne partie de l’Afrique se convertissant à la religion musulmane en son versant soufi.
Il aborde la photographie comme un espace de révélation presque magique, ses images possédant une respiration propre, une sorte de souffle intérieur donnant la sensation de relier les vivants et les morts.
Ses photographies montrant en 1978 la nécropole juive du Caire sont remarquables, Bernard Guillot sachant maîtriser la pose longue, comme si la persistance de son regard pouvait entrevoir l’invisible.
©Bernard Guillot
Il décède en 2021, alors qu’il travaillait sur la Cité des morts du Caire, quartier à part entière, bruissant de présences entre les tombes, laissant en plan un projet qu’édite aujourd’hui, sous très élégante couverture brune parcourue de vaguelettes de traits blancs faisant songer aux dossiers de recherche d’antan, Origini Edizioni, maison d’édition italienne décidément incontournable en Europe quand il s’agit de livres aussi inattendus que sublimes.
Que voit cet homme épris de mysticisme dans la plus grande et ancienne nécropole du Moyen-Orient, aujourd’hui menacée par le régime du président Abdel Fattah al-Sissi voulant se réapproprier ce territoire pourtant sacré et protégé par l’UNESCO ?
Une île minérale, un fantasme de pierres édifié sur les rives du Nil, des inscriptions au bord de l’effacement (images publiées sur papier très fin tenant simplement par quelques points de colle sur leur marge supérieure, leur permettant en quelque sorte de voler lorsque les pages sont tournées).
©Bernard Guillot
L’espace est ici abstrait, métaphysique, métapsychique.
Des toits d’édifices religieux, des brisures, des failles, tout cela apparaissant, en des photographies de différents formats, en nuances de gris.
Le blanc des pages est un linceul vivant, il n’y a pas presque pas de présence humaine direct, fors le corps d’un jeune garçon assis de guingois sur des pierres, et un religieux probablement copte observé dans le tremblement de son corps de prière.
©Bernard Guillot
Tout ici palpite de mystère, imposant le respect au regardeur.
Des portes, des éléments de temples, des annonces de décès.
Des lumières transversales, des ombres énigmatiques, une incandescence.
Bernard Guillot s’intéresse à la façon dont des minarets dialoguent avec des végétaux, au temps qui érode, use, conduit à l’effondrement des constructions et vanités humaines.
©Bernard Guillot
Reproduisant peintures et croquis de l’artiste, La Cité des morts collige un ensemble d’images réalisées entre 1979 et 2008.
Les murs parlent une langue que nous ne comprenons pas.
Il faut se taire, chercher en soi les vestiges de la langue d’or adamique.
Il ne faut pas troubler les défunts, leur laisser la liberté d’errer où ils veulent, ouvrir délicatement les pages de crainte de profaner leur antre, ces lieux où ils reposent, et peut-être continuent autrement de vivre.
©Bernard Guillot
On regarde avec un certain effroi les photographies de Bernard Guillot, comme si lui aussi les habitait post-mortem.
Il est là, frôlant les murs lépreux, glissant sous un porche vêtu d’un habit traditionnel, nous observant quand nous cherchons à déchiffrer des signes inscrits sur le sol ou les parois brûlantes d’une cité dont il a su saisir l’âme, sans effet de joliesse, de pathos, ou de pitié excessive, en peintre attentif à l’énigme graphique des existences évanouies.
Bernard Guillot, La Cité des morts (Le Caire, 1979-2008), édité, en langue anglais et arabe, par Bernard Guillot et Ilias Georgidias, conception du livre par Matilde Vittoria Laricchia, travail artisanal et reliure à la main par Eugenia Koval, Origini Edizioni, 2025, 200 pages – 250 exemplaires numérotés
©Bernard Guillot
©Bernard Guillot
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