
©Scott Batty
« un chant d’oiseau fracture l’air, / les veines du ciel se tendent et retiennent la neige, / une hémorragie d’absence glacée saigne, / alors que s’entrouvre la colonne vertébrale de l’hiver. » (Scott Batty)
Premier volume de la revue AHHA, FACE comprend trois cahiers présentés sous coffret cartonné consacrés aux artistes invités – Scott Batty, Ophélia Derely, Jean Rustin -, ainsi que des reproductions des œuvres de Giammarco Falcone, Pierre Liebaert et Sandrine Lopez.
Qu’est-ce qu’une figure humaine ? Qu’est-ce qu’une représentation ? L’art est-il un voile de Véronique capable de saisir les formes de l’invisible ?

©Giammarco Falcone
Une image flotte sur fond noir : c’est une peinture de Giammarco Falcone précisant intitulée Il Vero (2017), donnant la sensation d’avoir saisi le fantôme d’une des créatures de Jean Rustin, nos frères humains, si peu humains, humanoïdes, créatures déchirées, esseulées, jetées dans la vie nue.
Pas de tricherie, mais les visages de la condition parfois/souvent piteuse des êtres parlants.
Dans le parlêtre, nous crions, comme chez Valère Novarina : Ahha, Ahha, Ahha.
Camp de torture.
Félicité.

©Fondation Jean Rustin
Qui peut entendre nos aveux, notre honte, notre effondrement ?
Une assemblée de juges nous fait face, six personnages en quête d’auteur affrontant le vide, défigurant le spectateur, le fixant depuis un centre de ténèbres intérieures.
Le sentiment de vacuité et d’âpreté existentielles telle que représenté en dessins par Jean Rustin aimante l’ensemble des travaux ici présentés.
On s’embrasse dans le manque, on cherche dans la bouche de l’autre une langue qui nous échappe, on se cache les yeux, on est un enfant à peine grandi, à peu près mort-né, un adulte immature, un bouffon, un extraterrestre au fond.
Combien de degrés d’éveil faut-il pour enfin devenir humain ?
Clope, sexe à l’air, vulve ouverte, sourire dément, couilles violacées.
Y a-t-il des rapports sexuels qui ne soient des ratages, des malentendus, des frictions solitaires ?
On essaie pourtant, de s’aimer.
L’humain grimace aussi chez Scott Batty, c’est une danse des spectres.
Sommes-nous capables de nous regarder en face ?
Nous sommes des grands brûlés, des monstres, des idiots, des masques terrifiants.
Des écorchés.
Accompagnant la reproduction de ses œuvres de textes de violence calme (poésie et prose), Scott Batty représente l’épouvante, le trou, le cri.
Poème Bar Bastille : « ces bêtes si minces / n’ont aucun sens / un non-sens / douce chaleur de chair morte / douce chair de chaleur morte / doux cœur en sueur / ailes jaunies de peau de bière / peaux de bêtes \ peaux toutes bêtes / n’ont aucun sens / un non-sens / douces senteurs de sexe, / de massacre et d’agonie / doux cœurs en sueur / fondant sous le poids / d’un sourire-néon collectif // PAS DE FLEURS MERCI. »

©Sandrine Lopez
Qu’y a-t-il à l’intérieur du miroir ? se demandent en photographie Sandrine Lopez et Pierre Liebaert.
Qu’y a-t-il dans un visage en pleurs ou en feu ?
Il faut peut-être brûler pour commencer à renaître, se couvrir le visage de suie ou de goudron pour devenir le noir sans réserve, devenir art, incarner complètement la hideur sociale pour enfin abandonner tous les oripeaux (valeurs plus ou moins humanistes) se posant sur notre chair à la façon d’une tunique de Nessus.
En sculpture, par ses personnages au nez levé, Ophélia Derrely cherche l’air puisque tout est asphyxié, vicié, pollué.
Marche de bronzes, de matières hybrides, de damnés.
Sommes-nous dans les mondes souterrains ?
Notre corps est un véhicule cabossé, l’âme, éternelle, intemporelle, immortelle, est pourtant sublime.
Il arrive que des corps n’aient pas d’âmes, et des âmes pas de corps.

©Ophélia Derrely
En sculptant, Ophélia Derrely offre une forme à ce qui n’a pas de forme.
« Ça nous rassure, évidemment, de croire ce qui nous entoure permanent. On se sent entouré, on s’accroche à des repères. Pourtant, dans la vie, il y a quelque chose qui est. En fait, il n’y a rien d’autre : vivre, c’est accepter la perte. En la niant, nous nous empêchons d’embrasser pleinement notre condition, d’aller à notre rencontre, dans l’inconnu. »
Créée par Sandrine Lopez et Pierre Liebaert, « deux artistes siamois séparés à la naissance », AHHA, revue de grande sensibilité de facture extrêmement soignée – comme un livre d’artiste -, cherche la réconciliation dans la vérité de la fracture, l’union dans la vérité de la séparation, la vérité dans la vérité de la vérité, avec et au-delà des ravages.

Revue AHHA, FACE, poème de Sister Wendy Beckett, œuvres de Scott Batty, Ophélia Derely, Jean Rustin, Pierre Liebaert, Sandrine Lopez et Giammarco Falcone, édition et commissariat Sandrine Lopez & Pierre Liebaert, 2024 – 100 exemplaires numérotés et signés

©Pierre Liebaert
https://www.pierreliebaert.com/
https://www.giammarcofalcone.com/
https://www.instagram.com/scottbattyart/
https://www.instagram.com/sangdrinelopez/
https://www.instagram.com/opheliaderely/

Revue publiée avec le soutien de la Fondation Jean Rustin & Michèle Rouhart à l’occasion de l’inauguration de l’espace éponyme et de l’exposition qui l’accompagne, rue Ransfort à Molenbeek (Bruxelles)