
©Laurence Loutre-Barbier
« Non conforme, non violent, ami de visiteurs étranges, proche des magiciens, Jean-Pierre visualise la sphère galactique, dite univers et parle d’une infinité d’univers. Il dit que les galaxies sont belles comme des roses de pure lumière odorante. Il pratique un yoga et une méditation tibétaine personnels afin d’éprouver le plaisir et se dit atteint du pouvoir d’immortalité en rapport avec les extraterrestres sans toutefois y croire tout à fait. » (Laurence Loutre-Barbier)
Evacuant brutalement la tradition de solidarité inconditionnelle, la gestion biopolitique du globe sélectionne les vivants : il y a ceux qui comptent, et les indésirables.

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Refusant cette dialectique immonde, certains préfèrent se mettre en retrait, ne plus appartenir, vivre dans la rue, choisir l’âpre liberté.
A Lyon, Jean-Pierre Verdier, clochard céleste, est une figure connue par bon nombre de passants.
Il mendie, peint, danse sa vie dans le désastre.

©Laurence Loutre-Barbier
« Jean-Pierre est bâti avec un diagnostic psychiatrique sévère. Fou et neuroleptiqué, il vit dans la rue, dort dehors, se lave où il peut, mange avec ses doigts, repousse souvent l’autre sans le vouloir. En proue à des hallucinations, il s’interroge sur la frontière entre le monde réel et le monde du rêve. Quand est trop grand le « décalage entre le monde céleste et le monde réel », il fait un séjour en hôpital psychiatrique. »
Laurence Loutre-Barbier l’a rencontré en juillet 2013, a vagabondé avec lui, l’a photographié durant plusieurs années, faisant avec lui berge commune, jusqu’à sa mort en 2021 à la suite d’une opération chirurgicale.
Dans un livre lui étant entièrement dédié, Voyage parfait, l’artiste lui redonne vie, en corps et âme.

©Laurence Loutre-Barbier
La fumée du tabac – cigarette roulée ou non, pipe, cigarillo – le cache, Jean-Pierre est un être de nuées.
Il est l’angle mort du capitalisme, la vie pleinement vécue, inventée, rêvée.
Il est très grand, imposant, vient d’ailleurs.
A sa façon, dans cette ville où vécut Maître Philippe, c’est un alchimiste.
Il bâille, s’amuse, joue avec les codes de la respectabilité, bien moins fou qu’eux tous.

©Laurence Loutre-Barbier
C’est un pèlerin mystique, un orant tatoué, un mystère.
La complicité photographique avec son amie portraitiste est très belle.
Il se douche, géant, prophétise, place ses pas sous la protection de la vierge Marie et d’un Bouddha christifié.
Photographié quelquefois sur fond noir, Jean-Pierre est une figure mythologique.
« Si tu vois des allumettes dans l’espace, déclare-t-il à sa compagne d’errance, c’est les miennes : j’ai perdu ma boîte en allumant des étoiles filantes. »
Vivre en plein jour, mais clandestinement, protégé par les astres.
Etre plus, et moins, qu’un sac de plastique roulant sur le macadam tel un tumbleweed.

©Laurence Loutre-Barbier
Les paroles de jean-Pierre sont reproduites, accompagnées des mots de Laurence Loutre-Barbier.
Voyage parfait regarde un dieu, avançant dans Lyon tel Silène, messager allégorique d’une ville qu’il réinvente par sa présence, douce, furieuse, facétieuse.
Il est nu au lit avec une dame, il est beau, sensuel, leurs corps font penser à des vues de John Coplans.
Misère, fatigue, et sourire de l’univers.
Lettre à son amie artiste : « Laurence, l’éternité nous a rejoints et unis sur les chemins de Lyon. Grâce à toi, il restera de moi quelques images et écrits qui brûleront sûrement un jour ou une nuit sous les étoiles des paradis perdus. »
Voyage parfait pourrait être un mot d’Angelus Selesius.

Laurence Loutre-Barbier, Voyage parfait, editing photographique Laurence Loutre-Barbier avec le soutien de Klavdij Sluban, Fage éditions, (Lyon), 2022

https://loutrebarbier.wordpress.com/

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