Au fusain des rêves, par Noémi Pujol, photographe

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©Noémi Pujol

« Le dormeur ne sait plus où il va, il va sans heurt / L’appui-tête buvard des rêves // Laps // Playtime » (Arnaud Bailleul)

L’atmosphère est ténébreuse, nervalienne, de noir onirisme.

Un homme s’est endormi sur la couverture d’un livre, dont les pages peuvent être considérées comme la levée de ses rêves.

Hypnos, de Noémi Pujol, est un hymne aux puissances de la nuit, à la profondeur intérieure, à l’expérience des abysses intimes.

Le grain des images, quelquefois travaillées comme des dessins rehaussés de couleurs, est omniprésent, faisant songer à du fusain ou à quelque territoire inventé à la mine graphite.

©Noémi Pujol

Les images défilent en format horizontal, comme par la fenêtre d’un train lancé à vive allure dans les royaumes souterrains.

Composées pour une bonne part de dormeurs, Hypnos est un voyage dans un intermonde.

On pense à Jean-Baptiste Camille Corot, à Odilon Redon, de Léon Spilliaert, à quelques traversées crépusculaires.

Apparaissent des toits, des arbres, de l’eau, des paysages en fragments.

Rendant compte du cinétisme ferroviaire, les images du quatrième livre de Noémi Pujol chez Arnaud Bizalion Editeur donnent l’impression d’une matière précaire, toujours sur le point de s’enfuir, de s’évanouir.

©Noémi Pujol

Qui est-on quand on rêve, la tête posée sur une main, ou contre une fenêtre d’un train régional ?

Où est-on ?

La vulnérabilité de l’ensommeillé est une puissance d’ouverture.

Les yeux sont fermés, mais l’âme se déplace, erre, se fixe sur tel ou tel objet.

La tonalité générale est celle des contrées nordiques, et d’une solitude habitée de visions précaires.

Les images sont quelquefois griffées, grattées, elles sont en cela mobiles, mouvantes, matériau disponible pour des réinventions formelles.

©Noémi Pujol

Les négatifs sont accidentés, la main est venue contrarier la pure automaticité technique, toute apparition de figure humaine ou de structures identifiables relevant au fond d’un miracle.

La vie passe, elle est un amas de fétus visuels, nous sommes les personnages d’un film au scénario surprenant.

Tout est très beau chez Noémi Pujol, délicatement incarné tout en prenant une apparence spectrale.

Qui est en vie ?

Qui ne l’est pas ?

On pense également parfois au Suédois Martin Bogren, dont les œuvres pourraient dialoguer admirablement avec celles de la photographe française.

De quand datent ces images ?

Du temps des barricades ?

Du temps de l’enfance retrouvée à volonté ?

Du temps de l’image-temps antonionienne ?

Du temps où les trains n’étaient pas des TGV ?

Il y a dans Hypnos le bonheur d’un retrait, qui est celui des considérations inactuelles, de la contre-allée, des chemins de traverse.

Saisir le visible, nous rappelle Noémi Pujol, est une question de disponibilité intérieure, de concordance intime entre les espaces du dedans et ceux du dehors.

Noémi Pujol, Hypnos, texte d’Arnaud Bailleul, graphisme-maquette Jérémie Le Maoût, Arnaud Bizalion Editeur, 2025

https://arnaudbizalion.fr/fr/accueil/234-hypnos-noemi-pujol-9782369802181.html

https://www.noemi-pujol.com/

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