©Mat Jacob/Tendance Floue
Mais quel est donc le génie de Zone i, ce lieu utopique situé au bord du Loir, consacré par ses créateurs, Mat Jacob et Monica Santos, à l’art photographique ?
Il se pourrait bien, à en croire les dix membres du collectif Tendance Floue invités en résidence de 2021 à 2023 en cet espace semblant préservé de la corruption générale qu’il s’agisse du… castor.
A Thoré-la-Rochette, le rongeur-bâtisseur est revenu, c’est le dieu secret du territoire, mais aussi peut-être un nom de code, voire un concept, pour désigner tout acte photographique poétique constructeur, rebelle, solidaire et solitaire.
Deux livrets associés sous couverture dépliable montrant à la fois les lieux par une carte (recto) et une sélection de photographies (verso) rendent compte des regards singuliers des artistes en immersion du côté du Moulin de la Fontaine, à Thoré-la-Rochette.
©Yohanne Lamoulère/Tendance Floue
Mais comment cohabitent les rats et les castors ? Inventant une fiction trouée, Yohanne Lamoulère imagine un radeau naviguant sur le Loir, un peuple, une nation, un drapeau, des racines. Le fantastique n’est pas loin, il faut franchir des frontières.
©Grégoire Eloy/Tendance Floue
Grégoire Eloy emprunte quant à lui un canoë, essayant de ne pas confondre ragondin et castor, dialoguant avec des spécialistes (mails reproduits) pour en savoir davantage. Il faut bien regarder la queue et la tête, mais aussi les images pour comprendre que se joue une histoire complexe. Vaut-il mieux être humain ou Castor d’Europe sans passeport ? Où se cache la tendresse ?
©Olivier Culmann/Tendance Floue
Olivier Culmann a photographié les endroits où se sont déroulés des histoires troubles, ou pas du tout, s’arrangeant avec la réalité, qui est malléable, moins ferme et stable que dents de rongeur. Qui dit vrai ? Le chant des lavandières est-il, près de Vendôme, aussi éloigné que cela de celui des compagnes de Nausicaa découvrant Ulysse sauvé des eaux et des filets ? Tout est calme en apparence, comme dans la maison du pendu de Cézanne, comme un jour de crime ou de tromperie. Des champignons poussent sur le pubis d’une nymphe, qu’un petit mammifère aquatique viendra peut-être dévorer.
©Alain Willaume-Olivier Culmann/Tendance Floue
Alain Willaume n’est pas là, car il est, comme toujours, partout ailleurs. Son ami Olivier Culmann sera ses yeux, tous deux communiquant par l’intermédiaire d’un Smarphone. Qui est donc l’auteur de ces images pourtant très willaumiennes, entre levée de nuées, présence des spectres et points de fuite sidérants ?
©Denis Bourges/Tendance Floue
Denis Bourges aussi se souvient des lavandières, en regardant tourner le tambour des machines à laver d’aujourd’hui. La poésie s’est-elle enfuie avec la parole exténuée et le rire des laveuses ?
Mat Jacob – nous sommes passés au second cahier – s’intéresse aux témoins muets des événements se déroulant en son antre, par exemple l’arrivée – attestée – d’une soucoupe volante. C’est, à l’orée de sa série, un monstre de pierre, une figure grimaçante, une gargouille hugolienne. Qui raconte ? Qui voit vraiment ? Que disent les herbes ? Une clarté, des habitants stupéfaits, un enquêteur, et un photographe n’ayant pas peur de la nuit.
©Meyer/Tendance Floue
En un triptyque, Meyer se demande où le castor puise son inspiration, quand les hommes sont quelquefois, souvent, si peu doués pour la vie.
©Bertrand Meunier/Tendance Floue
Bertrand Meunier a découvert un homme nu recroquevillé en position fœtale sur un rocher. On entend des choses, on en voit d’autres, la végétation recouvre le passé. Les figures de l’envol et de l’archéologie chtonienne marquent ce second volet de La Perspective du castor, et le visage d’habitants inquiets se demandant sûrement s’ils ne vivent pas la fin du monde.
©Pascal Aimar/Tendance Floue
Pascal Aimar a percé lui aussi les secrets du noir, rencontrant le Minastor, mi-homme, mi-castor, queue plate, portant une casquette de l’équipe de football américain des bien-nommés Beavers. Un ange le protège.
Enfin, Gilles Coulon résume le tout : « L’idée, c’est de photographier les gens devant chez eux, comme s’ils étaient surpris par une lumière qui venait du ciel. »
Entre réalités et fictions, les castors, s’ils n’étaient pas en goguette ces jours-là, ont dû bien se marrer.
La Perspective du Castor, textes Clément Gaillard, direction artistique Mat Jacob et Monica Santos, illustration de jaquette Juliette Beyou, Zone i/Tendance Floue, 2023, 128 pages – 700 exemplaires
Photographes, assistés de Léo Guillet et Kola Rousseau, Alain Willaume, Bertrand Meunier, Denis Bourges, Gilles Coulon, Grégoire Eloy, Mat Jacob, Meyer, Olivier Culmann, Pascal Aimar, Yohanne Lamoulère
https://www.zone-i.org/librairie/
https://tendancefloue.net/collectif/projets-collectifs/la-perspective-du-castor/
Ne pas manquer l’exposition collective En Vol, du 29 mai au 2 novembre 2025 – œuvres de Rémy Artiges, Nathalie Baetens & Antonin Anzil, Martin Bogren, Xavi Bou, Rodolphe Marics, Sarah Moon, Irène Zottola, Marylou
Les Septièmes Rencontres Images & Environnement à Zone i. auront lieu les 12, 13 et 14 septembre 2025 – sont prévus un photo concert, des projections de films dans la grange, des photos jam sessions, des studios étranges aux procédés photographiques inventifs, des fanfares, des rencontres…
Artistes attendus : Céline Croze, Saaad & Frédéric D. Oberland, Elie Monferier, Sylvie Hugues, Christopher Yggdre, Brigitte Patient, Michel Poivert, Sylvie Bonnot, Collectif Trigone, Antoine Bertron, Les Mains sachantes, Thomas Ozoux, Arthur Mercier, Jonas Wibaux
Le blog de Fabien Ribery 