
©Vincent Catala
« Autour de ces habitants, nous découvrons l’accumulation des ruines du progrès dans des couleurs neutres et non saturées. Il y a des terrains vagues, des restes de chantier, des parkings sauvages, des viaducs suspendus au-dessus de la forêt vierge, l’odeur de la végétation et du pneu brûlé. Et une infinité de bâtiments austères, durs comme des projets AutoCAD [logiciel de dessin assisté par ordinateur créé en 1982] clonés dans le paysage, disséminés sans logique apparente dans l’ébauche des rues en zigzag, semblable aux vestiges d’un futur déjà révolu. » (Joao Paulo Cuenca)
Pour sa quatrième publication, après Reaching for Dawn, d’Elliott Verdier (2021, tire épuisé), Les Rochers fauves, de Clément Chapillon (2022, titre épuise) et Les Ruines circulaires, d’Orianne Ciantar Olive (2024), Dunes Editions, maison indépendante fondée par Margaux Beaughon, se montre toujours aussi impeccable.
Première monographie de Vincent Catala, Île Brésil se présente sous couverture cartonnée protégée par une jaquette plastifiée sérigraphiée mauve transparente, comme un filtre relevant des recherches modernistes.

©Vincent Catala
Il s’agit d’un ensemble de trois leporellos associés exposant sur papier épais d’une façon à la fois documentaire et très intense intérieurement le Brésil tel qu’on ne l’imagine guère, ou que peu, loin des clichés habituels.
Fruit d’un travail mené pendant dix ans, de 2013 à 2023, Île Brésil offre un regard neuf, très personnel, sur la Zone Ouest de Rio de Janeiro, le Grand Sao Paulo, et l’hinterland de Brasilia.
Les environnements sont différents, mais il y a continuum dans le regard, comme une même sensation de temps suspendu, d’introspection et de silence.
Vincent Catala restitue en format vertical l’énergie spéciale d’un pays, entre solitude, étrangeté et multiculturalisme.
Ses personnages s’interrogent, la lumière elle-même étant considéré comme un ordre de mystère.
Très attentif à la chromie, Île Brésil ne discourt pas : aucune thèse à défendre, si ce n’est celle de la diversité dans l’unité nationale d’un peuple morcelé.
Une mer grise, un arbre au tronc gigantesque, un enfant torse nu, un aplat coloré bleu, une sensation à la Giorgio de Chirico, maître de la peinture métaphysique.
Il y a quelque chose en cet ouvrage d’une atmosphère de fin du monde, ou d’attente eschatologique.
Du vide, une gravité mélancolique, une profondeur de retrait, et une impression, quelquefois, de dystopie.
La jungle reprend vite ses droits face à l’orgueil humain, il y a des rites à recréer, un lien à retisser entre la nature et l’humain, esseulé dans le cadre du photographe.

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Une américanisation certaine des comportements, des atavismes indiens, une transidentité assumée mais sans triomphalisme.
La jungle, c’est aussi l’enchevêtrement des édifices anthropiques, la rationalisation des territoires – arasement, autoroutes, stades, voies générales de circulation – comme pour lutter contre l’inquiétante et peu domptable folie végétale.
La lumière est dure, presque blanche, certes extérieure, mais également perçue comme le reflet d’un aveuglement en soi, comme une sidération psychique.
Les actes de progrès, pour reprendre la vulgate benjaminienne, ne sont-ils pas aussi des preuves de notre barbarie ?
Il y a dans les images du photographe français sur les marges géographiques brésiliennes de trois villes d’importance comme un danger permanent, une possibilité de chute dans la psychose, comme si l’on se heurtait sans cesse contre un mur transparent appelé dépression.
Des ouvriers de chantier poursuivent leur labeur, quelqu’un crie,
Comment transpercer le décor ?
Comment se débarrasser de l’enfermement mental ?
Qui ira plus loin que le sentiment d’exil permanent ?
Ça construit, ça détruit, ça asphyxie.
On circule, on accepte de rentrer dans sa case, on ne se confesse plus.

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On marche comme des somnambules, on accepte de se laisser engloutir par un mode de vie dément, on est ensevelis, éreintés, cassés, brisés encore debout.
Demain a commencé depuis longtemps, ce n’est pas joyeux, mais il y a les couleurs, la façon de faire musique dans le cadre et entre les images, une manière d’entrer sans ciller dans le domaine de la délectation morose.
Il y a un livre de Vincent Catala témoignant des hautes solitudes humaines dans le paysage sans cesse métamorphosé d’une postmodernité de déliaison.

Vincent Catala, Île Brésil, textes (français, portugais-brésilien, anglais) Vincent Catala et Joao Paulo Cuenca, direction éditoriale Margaux Beaughon, Dunes Editions, 2025,188 pages
https://fr.dunes-editions.com/
https://fr.dunes-editions.com/ile-bresil

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Vincent Catala est membre de l’agence VU’

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Le Musée de la Photographie de Charleroi (Belgique) exposera l’intégralité de cette série entre mai et octobre 2026