Ici, c’est mort ? par Cédric Calandraud, photographe

©Cédric Calandraud

« Ici, il n’y a plus de trains, pas vraiment de bus. Alors, on roule. Trente ou quarante minutes pour bosser, pour faire les courses ou voir les potes. » (Cédric Calandraud)

Originaire du nord de la Charente, Cédric Calandraud ne cesse depuis plusieurs années de revenir en photographie sur ses terres natales, afin de documenter la période de la fin de l’adolescence, dans un corpus en noir et blanc qui n’est pas sans évoquer les travaux éminemment sensibles de Jérôme Blin et Louise Honée.

©Cédric Calandraud

Faut-il rester ? Faut-il partir ? Existe-t-il d’autres horizons que les ciels familiers ?

Si la démarche première est de nature sociologique et immersive – avec participation pleine des personnes rencontrées quant à la façon dont elles seront représentées -, l’ensemble est essentiellement poétique, prenant en compte le mystère de chaque visage, de chaque être, de chaque présence, de chaque lieu.

Composé de paysages et de portraits de jeunes issus de la ruralité, Le reste du monde n’existe pas est un ouvrage de grand format de haute qualité, ayant bénéficié pour le graphisme du talent de Joanna Starck.

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S’étant rendu dans des établissements scolaires, des lieux de travail, des centres sociaux, des espaces de loisir, Cédric Calandraud pose la question de son propre devenir, puisque son choix fut de quitter son territoire d’ancrage familial pour poursuivre ses études à Paris, chaque personne apparaissant dans ce livre pouvant symboliser une histoire de liens manqués par le choix du départ.

Le reste du monde n’existe pas tisse ainsi finement une relation entre le passé et le présent, dans l’opacité très belle des visages des êtres ayant conribué à son projet artistique.

Mobylettes garées près de l’abribus de fortune jouxtant un champ, des garçons discutent.

©Cédric Calandraud

Image saisissante de petits immeubles d’habitations modestes non loin du château terminant la perspective : non, la campagne n’est pas qu’un décalque de l’âge d’or ovidien.

Des filles posent autour d’une table de pique-nique.

Jeux vidéo et corps agiles, la croyance en l’uniformité des habitants des villages est une illusion de nantis de centre-ville.

©Cédric Calandraud

S’il montre des jeunes interrogeant par leur regard les spectateurs qui les découvrent, Le reste du monde n’existe pas possède une indéniable dimension politique, accordant une place première à une jeunesse rurale qu’on ne voit que trop peu dans sa diversité.

Tuning, équitation, handball.

Flirts, enchantement de la rivière, victoires sportives.

©Cédric Calandraud

Les nuances de gris et le vide au cœur des photographies n’est pas un manque d’acuité visuelle. Bien au contraire, c’est une éthique de la pudeur, de la soustraction, du respect envers ce qui est, et du silence introspectif.

Travail manuel, places des filles, faire société oui, mais comment ?

Cédric Calandraud ne discourt pas, posant des signes induisant des moments de réflexion quant au parcours de tous et à l’importance des liens d’attachement.

On fait groupe, on est seuls, on se sépare, on se choisit de nouveau, autrement.

Anthony, cousin de l’auteur, au bord de la rivière se confie : « Quand je viens ici, le reste du monde n’existe pas. »

Il n’y a pas de diagonale du vide, mais une diagonale des invisibilisés, et surtout la puissance des préjugés et de notre cécité.

En postface, Salomé Berlioux ett Félix Assouly écrivent : « Faute d’identification, un tier des jeunes français grandissent en ruralité, mais la jeunesse rurale n’existe pas. »

Il semble bien qu’un photographe ait pris à coeur ce sujet de la représentation absente.

Cédric Calandraud, Le reste du monde n’existe pas, entretien de l’auteur avec les sociologues Yaëlle Amsellem-Mainguy et Benoît Coquard, texte de Félix Assouly et Salomé Berlioux, direction artistique Eric Cez, conseiller artistique Mathias Nouel, conception graphique Joanna Starck, éditions Loco, 2025