Oblige-toi à tournoyer, par la revue Possession Immédiate, et Giasco Bertoli, photographe

©Giasco Bertoli

Pour célébrer le dernier numéro de la revue Possession Immédiate, et sa bande de beaux solitaires fraternels, j’ai choisi de demander au photographe Giasco Bertoli, présent dans de nombreux numéros par des séries joueuses, intimes et sexy, de répondre à quelques questions afin de le connaître mieux. 

On trouvera notamment dans ce volume intitulé d’après René Char (injonction extraite de Feuillets d’Hypnos), Oblige-toi à tournoyer, parmi de riches contributions textuelles et visuelles, le premier poème écrit par Yannick Haenel évoquant les jardins d’Israël et la joie des rosées féminines (précipitez-vous), une méditation sur la ligne droite comme nausée de Victor Dumiot, une série photographique de magie noire et blanche d’Antonion Tricard, des photographies enfiévrées de la Libanaise Myriam Boulos (Sexual Fantasies), une bande dessinée réjouissante d’intelligence de Damien MacDonald érotisant l’herméneutique, ainsi qu’un texte fouillé de Lolita Pille sur les exilés allemands à Los Angeles et Thomas Mann (Docteur Faustus).     

©Giasco Bertoli

Vous participez une nouvelle fois à la belle aventure de la revue Possession Immédiate, dont son fondateur, John Jefferson Selve, annonce qu’il s’agit du dernier numéro (n°12). Que représente cette revue pour vous ?

C’est une très belle revue underground avec des grands écrivains contributeurs de différentes générations qui représentent bien sa devise « revue littéraire et artistique » avec beaucoup de style, de contemporanéité, je la suis depuis le début.

©Giasco Bertoli

Comment travaillez-vous lorsque vous recevez l’appel à contribution, dont la proposition ici est « Oblige-toi à tournoyer » ?

Je ne connaissais pas cette phrase de René Char, j’ai pensé à une série qui tournait autour d’une vieille télévision allumée, sans programme…

©Giasco Bertoli

Comment avez-vous pensé la série que vous avez réalisée avec Rose Vidal et Louise Spoturno ?

Pour la série de la couverture, Jefferson voulait que je fasse des portraits de femmes, des corps, j’ai pensé à Rose et à Louise que j’avais déjà photographiées avant pour une commande, et une télévision, un écran qui ne donne qu’une image brouillée de fin de programme, ou de manque de réseau. Dans une autre série, il y a aussi une troisième femme, Ingvild, qui a aussi écrit un texte, Let Love In.

©Giasco Bertoli

Que demandez-vous à vos modèles ?

Rien de spécial. De préférence je les photographie comme elles/ils sont.

Quelle est votre méthode de travail ?

Je suis méthodique dans la préparation, mes photos ont l’air d’être prises sur le vif, mais je prépare beaucoup mes séries à l’avance. Une fois que tout est bien en place, la séance peut aller très vite, je n’aime pas faire des centaines de photos autour d’un sujet.

©Giasco Bertoli

Le nom de Sonic Youth revient dans vos images (tee shirt troué au nom du groupe new-yorkais, cassette audio placée à l’entrejambe pour le cacher malicieusement). La photographie telle que vous l’aimez se rapproche-t-elle du rock indépendant, voire du cinéma tel qu’a pu le pratiquer Hal Hartley ?

Oui sûrement, inconsciemment. Cette série a été voulue par Possession Immédiate d’après mes portraits et mes photographies de nus des années 1990. La cassette audio (Dirty, Sonic Youth, 1992) placée entre les jambes de Louise, je lui ai proposé le jour de la prise de vue en lui montrant une photo qu’elle avait postée sur son compte Instagram. Sur sa photo genre selfie elle avait placé un emojis étoile pour masquer son entrejambe comme les règles de politesse d’internet l’exigent. On voit beaucoup d’images sexualisées sur les réseaux. J’ai voulu reprendre cela, faire une version avec cette petite cassette audio Dirty comme un cache tridimensionnel.

©Giasco Bertoli

Comment concevez-vous l’électricité sensuelle parcourant vos images ?

Je ne sais pas, mais je prends ça comme un compliment. 

L’érotisme vous semble-t-il en danger ?

Je pense à une phrase de l’écrivain italien Aldo Busi qui dit : « L’erotismo è la ciliegina sulla torta quando manca la torta. » [L’érotisme est la cerise sur le gâteau quand le gâteau manque.]

©Giasco Bertoli

Vous censurez-vous ?

Oui, on ne peut jamais satisfaire tout le monde, et c’est très bien comme ça. Je n’ai pas de problème si je dois me passer d’une image. D’ailleurs j’ai demandé à la revue d’avoir l’accord de Louise avant de publier cette photo d’elle avec la cassette audio.

Qui sont les photographes que vous considérez comme des sources d’inspiration ?

La dernière série de photographies que j’ai trouvée magnifique, je l’ai vue à l’exposition de l’artiste Mike Kelley à la Bourse de Commerce. Aujourd’hui, je ne suis plus vraiment inspiré par des photographes, mais plutôt par la peinture, j’aime en particulier visiter le Musée d’Orsay.

Patrick Mauriès ©Giasco Bertoli

Vous effectuez quelquefois des portraits d’écrivains, d’intellectuels ou de personnalités du monde littéraire (Patrick Mauriès, Bernard-Henri Lévy, Eva Nabokov, Denis Cooper, Jean-Luc Nancy, Alain Badiou…). Quel lien avez-vous avec la littérature ?

La littérature influence sûrement ma façon de voir les choses, les personnalités que vous citez sont des commandes.

Que et qui vous lisez-vous ?

Je suis un lecteur par périodes.  J’ai aimé récemment Je ne crois qu’en moi, de Catherine Breillat, La carte et le territoire, de Michel Houellebecq et Vivre la nuit, rêver le jour, de Christophe.

©Giasco Bertoli

Pourquoi un tel intérêt pour les courts de tennis, que vous avez beaucoup photographiés ?

C’est une façon personnelle de photographier le paysage, en utilisant à chaque fois ce lieu particulier. J’aime les différentes situations atmosphériques, les différentes conditions de lumières, les différentes saisons. Ces courts inoccupés engendrent une métaphysique étrange. Dans les quatre livres consacrés à cette série, chaque photographie se lie à l’autre comme dans une longue séquence. On pourrait penser à Serge Daney, à Gilles Deleuze, à Antonioni, à Duras. Voir ces terrains dans des états aussi variés, c’est comme tomber à la fois sur un souvenir, et sur une vision du monde. C’est peut-être simplement une affaire de style, de style de jeu, de style vestimentaire, de still-life. En 2025 il y aura un cinquième et dernier livre Tennis Courts V.

Selon vous, qu’est-ce que l’underground aujourd’hui, puisqu’il me semble que tel est votre véritable territoire esthétique et éthique – avec les nouveaux corps francs de la jeunesse, le désir comme expérimentation, l’énergie féminine ?

Toutes les photographies sont des mémoires souterraines. Corps, jeunesse, désir, expérimentation, énergie générale, qu’elle soit féminine ou masculine, pour essayer de transformer la mythologie du quotidien en quelque chose de différent, parfois de sophistiqué.

Propos recueillis par Fabien Ribery

Revue Possession Immédiate, « Oblige-toi à tournoyer », rédacteur en chef John Jefferson Selve, directeur artistique Ben Wrobel, secrétaire de rédaction/conseiller littéraire Ferdinand Gouzon, web Jean-Baptiste Louvet, production Un Ailleurs & Eleni Gatsou, n°12, 2024

©Giasco Bertoli

Contributions de, pour les textes : Elsa Agnès, Boris Bergmann, Gérard Berréby, Yann Bourven, Thibault Capéran, Théo Casciani, Alexandra Dezzi, Victor Dumiot, Frederika Amalia Finkelstein, Yves-Noël Genod, Clarisse Gorokhoff, Ferdinand Gouzon, Yannick Haenel, Ingvild, Lou Kanche, Kamilya Kuspanova, Simon Johannin, Cédric Lagandré, Coline Lainé, Felix Macherez, Damien MacDonald, Eva Mancuso, Raphaëlle Milone, Charles Morin, Hadrien Mossaz, Guillaume Nicloux, Matthieu Peck, Lolita Pille, Pierre Rousseau, Clément Roussier, Jean-Jacques Schuhl, Georgina Tascou, Elsa Viet, Fanny Wallendorf

©Giasco Bertoli

Pour les images : Christina Abdeeva, Safouane Ben Slama, Giasco Bertoli, Anton Bialas, Myriam Boulos, Bertrand Cavalier, Thomas Dossou, Louise Ernandez, Julien Giami, Christophe Guérard, Alexandra Mocanu, Anna Prokulevicz, Antonin Tricard, Ben Wrobel

En couverture : photographie de Giasco Bertoli avec Rose Vidal et Louise Spoturno

https://www.giascobertoli.com/

©Giasco Bertoli

https://www.possession-immediate.com/magazine/volume-12/

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