Prolongeant et développant le travail effectué par l’Uruguayen Eduardo Galeano dans son célèbre brûlot, Les veines ouvertes de l’Amérique latine (1970), ou comment piller un continent regorgeant de richesses, la journaliste indépendante Anna Bednik cherche à comprendre, dans Extractivisme, Exploitation industrielle de la nature : logiques, conséquences résistances, la folle logique d’exploitation intensive de la nature permettant de « fournir, chaque année, plus de 70 milliards de tonnes de « ressources naturelles » diverses aux chaînes de production et de consommation de marchandises. »
Pari : que la prise de conscience du paradigme de la croissance à tout prix reposant sur une dévastation de la nature à l’échelle de la planète entière entraîne, au-delà des cercles militants traditionnels, une indignation ouvrant sur d’autres modèles économiques, parfaitement viables.
Après avoir défini la notion assez caoutchouteuse d’extractivisme, l’enquête d’Anna Bednik, très fouillée, extrêmement bien écrite, se livre à un état des lieux mondial des maux environnementaux, sociaux, ethnoculturels, sanitaires, politiques, causés par la démence du « développement » forcené, quel que soit le continent – on peut penser aux récents scandales/débats à propos du gaz de schiste en France, dont il est certain que la technique d’extraction par fracturation hydraulique est extrêmement polluante.
Face au « sacrifice des territoires », à l’accaparement des ressources naturelles par des oligarchies nationales et entreprises étrangères (phénomène en constante aggravation), des citoyens, des associations, des groupes de pression populaires, se mobilisent, menant une résistance globale contre une agro-industrie ne craignant aucun ravage.
Contre la triade pillage/pollution/destruction, « d’innombrables foyers de rébellion » se sont créés, dont rend compte une journaliste militante – un quart de siècle après l’assassinat du syndicaliste brésilien Chico Mendès – non par naïveté ou goût facile de la castagne, mais par nécessité éthique.
Interroger nos modèles actuels de développements, la violence qu’entraîne, au Congo-Zaïre par exemple, l’exploitation sans limite de terres parfois encore épargnées par les vautours humains, conduit à questionner les responsabilités des plus grands pays extractivistes (allons voir du côté du G20) quant au malheur des peuples sur la planète, et, plus individuellement, à ce dont nous avons réellement besoin pour vivre bien, si l’on songe que l’agroécologie pourrait très bien nous nourrir.
Dénonçant les illusions d’une croissance dématérialisée hypothétiquement moins gourmande en matières premières, l’industrie électronique étant aussi prédatrice que les autres – le sang est-il soluble dans le smartphone ? – Anne Bednik consacre une part importante de son ouvrage aux « mille et une luttes » (asymétriques), souvent portées d’abord par de simples « lanceurs d’alertes », permettant d’imaginer collectivement un avenir moins sombre.
Comme l’exprime parfaitement l’un des insurgés filmé dans Je lutte donc je suis, documentaire très apprécié de Yannis Youlountas (version longue disponible gratuitement sur l’Internet), défendre, contre les firmes expropriatrices, une vallée, une forêt, une rivière, ici, là, en Crète par exemple, n’est pas qu’un acte local, puisque toute lutte écologique, au Brésil, en Indonésie, en Chine ou en France, aura désormais, à l’heure de l’extinction possible de l’espèce humaine, des répercussions immédiates à l’échelle mondiale.
La catastrophe est annoncée, et alors ? Les raisons de se résigner au malheur ont rarement paru si inconvenantes.
Combativité, solidarité et espoir, jusque dans les cendres.
Anna Bednik, Extractivisme, Exploitation industrielle de la nature : logiques, conséquences, résistances, Le Passager clandestin, 2016, 370p
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