La femme enceinte est une alien, par Amandine Dhée

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On ne naît pas mère, on le devient, peut-être, ou pas, ou de façon bancale, toujours, dans le tâtonnement des regards, des cris et des silences partagés, dans les nuits de tempête, d’angoisse et d’abandon à ce qui vient, qui est énorme, impossible, terriblement intimidant.

Avec Amandine Dhée, petite voleuse, femme brouillon, pas de faux-fuyant.

D’entrée de jeu, le ton est donné, direct, familier, drôle, façon stand-up de qualité.

Quelques extraits de la première page, pour vous appâter, épater, mettre le lait à la bouche.

« Alors je me tortille sur mon siège et balbutie que voilà, je suis enceinte. On me félicite. Même ceux qui ont des enfants. »

« Une famille, ça simule super bien le bonheur. Il faudrait des reporters embedded pour savoir vraiment. »

« Et moi, fruit de trois générations de mères lamentables, quelles sont mes chances ? J’aurais dû être immunisée contre la maternité. Mais non, il a fallu que je récidive. »

« Hétérosexuelle et monogame, je faisais partie des populations à risque, vite rattrapée par le discours pro-maternité. Les femmes intelligentes sont lesbiennes, c’est bien connu. »

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Avec Amandine Dhée, ça cogne en permanence, en gant de velours, manique pour four à propolise (pardon ?), ou pas.

Plus possible de douter, la maternité est là, s’est imposée : le corps s’essouffle, se fatigue plus vite, fait son boulot, mieux informé que vous-même. On commence à vous plaindre.

Journal d’une maternité, La femme brouillon est un livre d’acceptation, d’accueil, mais aussi un cri de protestation contre : – l’hygiénisme (cinq fruits et légumes par jour) – la moraline (guimauve) – la bien-pensance (logique sacrificielle) – la novlangue et ses euphémismes (vous éprouverez, Madame, des sensations intenses) – la culpabilisation (bébé sent tout de vos humeurs).

Les chapitres sont courts, façon billets d’humeur, au fur et à mesure d’une dépossession annoncée par le corps médical (échographies, analyses, séances de préparation à l’accouchement), et les yeux des Mabuse de la société : la femme enceinte est devenue femme publique, exposée, touchée, scrutée.

Mais la grossesse n’est pas une maladie, ni un calcul, ni un show.

Assignée à résidence hormonale/humorale par le regard biopolitique, et les dispositifs de pouvoir distribuant selon le bon vouloir de la domination séculaire places et fonctions aux femmes, Amandine Dhée donne à son texte une dimension politique, refusant de vivre la maternité comme un moment d’aliénation supplémentaire, quand tout son effort aura justement été de se libérer – plusieurs livres en témoignent – de l’oppression d’une logique sociale d’essence patriarcale, saluant au passage son compagnon comme on éprouve le besoin d’un amer dans la nuit, un ami de fond avec qui s’isoler.

Heureusement, l’ironie sauve – « Nous n’avons pas souhaité connaître le sexe. C’est le premier cadeau que nous lui offrons, un sursis de genre. » -, comme les confidences, ne craignant pas le ridicule, parce qu’elles disent tout de la vulnérabilité : « J’ai peur de ne pas sentir les premières contractions. Peur absurde qui fait sourire tout le monde, sauf les femmes enceintes. »

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Et lorsque bébé arrive, le moment est bouleversant.

La lutte ne fait pourtant que (re)commencer de plus belle.

Au secours, je ne parviens pas à allaiter.

Au secours, je ne lis plus.

Au secours, je ne baise plus.

Se battre, s’appuyer (sur le père), retrouver par le corps l’esprit, écraser au presse-purée atomique les clichés.

Victoire : « Je décapite la mère parfaite qui menace en moi. »

Offrir à bébé la chance d’une femme brouillon, d’une mère qui sait, et doute.

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Amandine Dhée, La Femme brouillon, (Editions) La Contre Allée, 2017, 90p

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