Ils sont cinquante, artistes, artisans, à concevoir la pratique du dessin comme une étape indispensable à leur processus de création.
Ils sont, homme ou femme, vannier, joaillier, céramiste, orfèvre, sculpteur (de masque, sur bois), lumigraphe, bijoutier, feutrier, coutelier, laqueur, brodeur, dinandier, doreur ornemaniste, plumassier, dominotier, ennoblisseur textile, tabletier éventailliste, et autres maîtres d’art.

Leurs lieux de formations sont des précipités de compétences, de savoirs, de transmissions procurant un bienheureux vertige : Ecole des Beaux-Arts de Nîmes, Ecole Nationale supérieure des arts visuels de la Cambre (Bruxelles), Centre européen de recherches et de formation aux arts verriers (Cerfav), Ecole Boulle, Ecole Nationale supérieure des Arts décoratifs (Ensad), Ecole Nationale supérieure d’art de Limoges, Ecole Nationale supérieure des arts appliqués et des métiers d’art (Ensaama), Haute-école des arts du Rhin (HEAR), Conservatoire National supérieur d’art dramatique (CNSAD), Théâtre National de Strasbourg (TNS), Guildhall School of Music and Drama (Londres), Ecole Olivier-de-Serres, Ecole de vannerie de Fayl-Billot (Haute-Marne), Ecole des Beaux-Arts de Rennes, Ecole Camondo, Maison de la céramique de Mulhouse, Ecole Duperré, Ecole d’art floral de Paris…
Ils ont souvent voyagé aux quatre coins du monde pour compléter leur apprentissage, avant de décidé de s’installer définitivement en France.

Dans un livre très soigné présentant leurs productions graphiques, La consigne, Les dessins des métiers d’art, leur parole est recueillie avec attention.
Nul doute que pour bon nombre d’entre eux, la main pense, et mène à l’expression de l’inconscient.
En nous offrant leurs dessins, étonnants, somptueux, ces créateurs révèlent une grande part de leur intimité, de leurs cheminements intérieurs.

Portés par la Fondation Ateliers d’art de France (présidente Aude Tahon), et l’association Les Traces habiles (« Elle archive un ensemble de dessins originaux dans le Fonds dess(e)ins et constitue un corpus documentaire numérisé sur le processus de création. »), ces professionnels, loin de tout passéisme, réinventent aujourd’hui avec audace, entre tradition et modernité, leurs métiers.
La fidélité à l’héritage est la réinvention du legs, patrimoine parfois fragile, qu’il importe aussi de défendre collectivement.

En livrant à d’autres yeux leurs épures, leurs esquisses, les artisans créateurs réunis ici ouvrent avec générosité leur laboratoire personnel, dans une profusion de formes, de pratiques et d’outils qui ravit.
Il y a du chaos organisé, de l’immémorial, des nécessités premières, dans l’ensemble de ces gestes posés sur le papier.
Les dessins sont des empreintes, des intuitions, des essais, que le créateur prolongera, ou pas, dans la réalisation finale de son objet.

L’arrière-boutique n’est pas moins superbe et mystérieuse que le devant de scène.
Le besoin du dessin relève d’une volonté de retour à la rugueuse réalité (le paysan de Rimbaud) que la prolifération de l’immatérialité (l’empire des écrans) rend de plus en plus précieuse.
La main est informée, elle est porteuse de science, créatrice de signes – l’artiste verrier Marie-Anne Baccichet parle de « dessins prématurés » – qui prennent bientôt du volume, s’émancipent.

Emmanuelle Béduneau, feutrière : « Pour créer un tissu, je me sers de mon aiguille à barbe comme d’un stylet, et la laine ou les autres matières premières utilisées sont une encre dont la substance particulière apporte richesse à mon ouvrage. »
Isabelle Braud, créatrice papier et peinture : « Tout ce qui peut être utilisé pour tracer, inscrire, visualiser, restituer mes émotions est consigné pour provoquer le rêve. Le dessin innerve, irrigue toutes mes créations. »
Jean-Noël Buatois, coutelier : « Le dessin est une libération de l’imaginaire, un relais facétieux et sans limites face aux obligations plurielles de mon métier. »
Anne-Lise Courchay, artiste du livre, parchemin designer : « Le dessin est une écriture qui permet d’accéder aux fondements de la pensée humaine, l’essence d’une mémoire partagée, quel que soit le continent ou l’époque. »
Mathilde Jonquière, mosaïste : « Le dessin est une composante incontournable du dialogue avec le commanditaire qui accompagne l’élaboration de mon travail. »
On pose à présent le livre La Consigne sur le lutrin du salon. Il est ouvert, aimante le regard. C’est une leçon d’exigence et de liberté en cinquante portraits, cinquante voyages au long cours, et l’on pressent avec joie que l’aventure ne fait que commencer.
La Consigne, Les dessins des métiers d’art, Les Editions Ateliers d’art de France, 2017, 118 pages
(le dessin choisi pour inaugurer cet article est de Marie-Anne Baccichet, artiste verrier)