
Le mot AZIMUT comporte six lettres, soit six destinerrances menées par quelques solitaires parcourant les routes de France depuis Montreuil, dans une continuité de pas ayant pour objectif de redécouvrir le territoire français par les chemins de traverse en se redécouvrant soi-même dans l’expérience de la marche.
Conçu par le collectif Tendance Floue, chaque volume est l’occasion d’offrir à des photographes amis quelques pages rendant compte de leurs pérégrinations, en images et textes.

Pour la belle lettre M se sont succédé Julien Magre, Stéphane Lavoué, Léa Habourdin, Fred Stucin et Marine Lanier, entre Decazeville (Aveyron) et Salasc (Hérault), du 29 juin au 6 août 2017.
Au kilomètre 1926, Julien Magre, seizième psychogéographe, prend le relais de Michel Bousquet, et écrit (jour 1) : « Je suis dans un petit village qui s’appelle Sénergues. Je ne sais pas trop ce qui se passe mais ça se passe. Rien ne m’attend, rien ne me presse. Pas d’enjeu, pas d’angoisse, du vent, de la pluie, la tête et les pieds. On verra ce qui arrivera demain. Je suis là. C’est déjà beaucoup. »

Demain, c’est aujourd’hui, et hier. C’est un ensemble de collages d’images de nature hétérogène sur une même photographie, une façon d’ouvrir le paysage à son autre, de construire des fenêtres de perception nouvelle.
« J’avais peur de croiser des gens malveillants sur la route, mais je ne croise que de belles personnes qui prennent le temps de parler. »

A Aumont-Aubrac, sur le GR 65, arrive Stéphane Lavoué, continuant comme Julien Magre le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle à l’envers. L’auteur de The Kingdom (Editions 77, 2017) trouve dans le sentier de spiritualité des lieux de conte noir, habités de vagabonds et de personnages de petite taille semblant soumis à l’autorité d’une mère toute puissante aux yeux de jais.
Des villages abandonnés par l’Etat, de l’aigreur, des rancœurs, du racisme.
Ça lance des couteaux à chaque parole.

Il y a plus de loups dans la bouche que dans les bois que traverse Léa Habourdin, sac lesté de cailloux pour se délester de l’époque, qui va vite, ne voit rien, s’empâte.
La voici qui grimpe le mont Lozère, trébuche, prend quelques images amples, sort son marqueur, se peint le visage, danse à la façon des Sioux.
Il y a de moins en moins d’abeilles.
Pourtant sous les pieds roulent les essaims de pierre.
Arrive dans l’éboulis Fred Stucin, drôle de zigue, plutôt remonté le gars.
« Tu comprends pas ? Je vais te le bouffer, cet Azimut ! Je vais leur montrer qui est le patron, aux porteurs de tentes Quechua ! »

Ce type-là aime Barbara Loden, et sûrement John Cassavates.
C’est la rage du cœur, et les sens en alerte.
Pénombres, lumières de nuit, danse d’un petit cul dans un short moulant. Cinéma permanent, et de plein air.
Maintenant, on se calme.

Respiration tranquille, élégance, contemplation.
Marine Lanier a deux corps physiques qu’elle tente de mener à l’unisson, une grande carcasse qui tremble un peu, et un boitier d’apparitions qui sait ce qu’il veut.
Il veut cet homme nageant dans le canyon, ce cheval blanc gris bleu, cette cabane où rencontrer dans le rire Tom Sawyer et Huckleberry Finn.

Les images sont tirées, disposées comme dans le tarot de Marseille.
Qui saura les lire et comprendre leurs prédictions ?
M, par AZIMUT – Julien Magre, Stéphane Lavoué, Léa Habourdin, Fred Stucin, Marine Lanier – 2018, volume 4 (300 exemplaires numérotés)
