
© Tomoko Yoneda, courtesy ShugoArts
Le 4 septembre 1914, un peu avant le début de la bataille de la Marne, Lucien Camus, 1er r zouaves, 54eme Cie, envoie une carte postale à sa femme.
On peut y lire : « Reçois ainsi que les enfants un gros baiser Le bonjour aux amis Donne-moi de tes nouvelles : la santé et les nouvelles sont très bonnes pas de mauvais sang un point c’est tout »
Ce document émouvant, lorsque l’on sait que son rédacteur tombera bientôt sur le champ de bataille, et qu’il faudra longtemps à son fils pour retrouver son corps, dans le cimetière faisant face à la maison de son ami Louis Guilloux à Saint-Brieuc, se trouve à l’orée du livre de la photographe Tomoko Yoneda, Dialogue avec Albert Camus, travail faisant également l’objet d’une exposition éponyme à la Maison de la culture du Japon, à Paris.

© Tomoko Yoneda, courtesy ShugoArts
Le temps a apaisé les blessures, mais dans la Marne, les arbres plantés le long d’une ancienne tranchée, mélangeant leurs ramures, disent encore aujourd’hui le miracle et l’effort que demande la frérocité pour se transformer en fraternité.
Non loin de leurs épousailles, à l’arrière-plan, une ligne électrique à haute tension laisse planer une menace (image 2), le retour d’une ligne de front (image 1) jonchée de cadavres.
A Alger, 17 rue de Lyon, dans le quartier de Belcourt, alors que sa mère reçoit les dernières phrases tracées par son père, Albert Camus n’a pas un an.

Le soleil frappe la Ville blanche, alors que sous les feuillages des arbres tropicaux du Jardin d’Essai (Jardin du Hamma) se rencontrent les amoureux et qu’à la bibliothèque quelques jeunes gens pensent à la révolution.
Dans un va-et-vient entre la France et l’Algérie, poétiquement très stimulant dans le jeu d’échos qu’il met en place, la photographe japonaise Tomoko Yoneda, qui vit à Londres, imagine la présence fantomatique du grand écrivain français, retrouvant Tipaza pour lui rendre hommage, en célébrant tout à la fois les combattants algériens morts pour l’indépendance de leur pays.

© Tomoko Yoneda, courtesy ShugoArts
Entre passé et présent, l’artiste établit, en couleur et noir & blanc, un espace mental où réinventer Camus.
Il y a dans ses images de l’attente, une forme de sérénité supérieure, et de multiples fenêtres ou encadrements, qui sont comme les voiles transparents séparant le bel aujourd’hui du lointain hier.

© Tomoko Yoneda, courtesy ShugoArts
Entre Albert Camus et Tomoko Yoneda, il y a la perception d’une même catastrophe planant désormais sur l’humanité entière, la bombe nucléaire.
Les plus beaux paysages, les plus doux visages, peuvent être, depuis le 8 août 1945, irrémédiablement ravagés.

Le visible même devient objet de soupçon, et de contamination majeure.
L’air remplissant les poumons est un gaz d’intranquillité.
Homme révolté, homme absurde, Sisyphe heureux, Camus se dresse, écrit, interpelle les consciences.

Lectrice de son œuvre, la photographe japonaise, photographiant les demeures où il écrivit L’Etranger, La Peste, Le premier homme, en fait un héros modeste et capital du XXème siècle, lui offrant quelques chrysanthèmes, et une grue en papier votive, par-delà la mort.
Très doucement, délicatement, la photographie se fait ainsi messagère.
Tomoko Yoneda, Dialogue avec Albert Camus, textes de Tsutomu Sugiura, Aomi Okabe, Marta Gili, Tomoko Osumi, Nao Otsuka, Transphère #5, Les Presses du Réel, 2018
Exposition à la Maison de la culture du Japon (Paris) du 28 mars au 2 juin 2018
Maison de la culture du Japon à Paris
Conférence Camus, l’Algérie… et le Japon, le 22 mai 2018, à 18h – avec Agnès Spiquel (Présidente de la Société des Etudes Camusiennes) et Hiroshi Mino (Vice-président de la Société des Etudes Camusiennes et Président de la section japonaise de cette société)