Les Palawan en leur forêt d’émeraude, par Pierre de Vallombreuse, photographe

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© Pierre de Vallombreuse

Les Palawan vivent au sud de l’île de Palawan aux Philippines, parfois de façon très isolée, lorsque leur habitat est celui de l’intérieur des terres et que l’appétit des colons envieux de leurs richesses naturelles les pousse à s’enfoncer toujours plus loin dans la forêt.

Les Palawan pratiquent le brulis, la cueillette et la chasse, leur mode de vie est itinérant.

Depuis plusieurs années, le photographe Pierre de Vallombreuse se rend régulièrement auprès de ce peuple qui l’a accepté.

Aux images somptueuses qu’il a ramenées de ses périples, il fallait un écrin unique.

C’est le livre Une Vallée, publié avec un soin extrême par Marie Sepchat, de the (M) éditions, une pépite émeraude célébrant la beauté d’un monde menacé par la folie des prédateurs humains.

On ouvre dix fois ce livre, on le montre aux amis, on le respire, on essaie de le vivre, et l’on comprend quelle est la petitesse criminelle de nos jours.

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© Pierre de Vallombreuse

Comment est né le projet de votre livre Une Vallée avec votre éditrice de the (M) éditions, Marie Sepchat ?

Cela faisait un an que je pensais à faire un livre singulier pour y recevoir et servir la poésie de cette vallée et de ses habitants. Je le voulais tel un écrin, lorsque j’ai rencontré la remarquable éditrice Marie Sepchat au Bal à Paris et découvert ainsi ses magnifiques livres dont le sublime PROXEMICS de Renato D’Agostin que j’ai adoré. Je lui ai par la suite parlé de ce livre poétique que je voulais faire en concomitance de mon exposition au Musée de l’Homme de Paris. C‘est comme cela que le projet est né.

Comment avez-vous conçu ensemble cet ouvrage ? Quels ont été les apports de chacun ?

Ce fut un très agréable et nourrissant aller-retour d ‘échanges autour des images, de la sensibilité du livre, de l’histoire que nous voulions raconter.

Puis après, il y eut la collaboration avec le studio de création parisien les Graphiquants.

Une Vallée est loin de n’être qu’un superbe livre de photographie, c’est aussi un cri d’alarme sous forme d’hymne à la nature inentamée. Cette dimension écologique est-elle devenue intrinsèque à votre travail artistique ?

L’écologie a toujours fait partie de mon travail qui milite pour la préservation de la diversité qu’elle soit humaine donc culturelle, ou de la nature. Je ne dissocie pas nature et culture comme dans les sociétés judéo-chrétiennes. Nous sommes tous, humains, végétaux, animaux, des éléments du vivant et liés à notre devenir. Là, dans la Vallée, la nature n’est pas inentamée. Elle est cultivée depuis des siècles. Mais certains endroits sont préservés. C’est un bel équilibre qui tient compte des besoins des hommes.

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© Pierre de Vallombreuse

Vous considérez-vous en quelque sorte, par-delà l’amitié que vous portez aux Palawan, comme un anthropologue ?

Non, car je n’étudie pas les gens avec qui je vis. J’essaye d’enregistrer des moments de leur vie, de raconter des histoires, ou plutôt des fragments de leur histoire.  L’accumulation de ces fragments peut à la longue raconter un récit plus ample. Je suis un raconteur d’histoire vécues. Je fais des photos pour vivre des expériences, des aventures, fortes, multiples. Mais aussi pour raconter des histoires et militer pour des valeurs que j’estime essentielles. Dans un monde hyper-formaté et matérialiste, violent et centralisateur l’aventure est une forme de poésie au service de la liberté. Une résistance qui m’est essentielle.

Sur quel empan chronologique les photographies de votre livre sont-elles prises ? Quelles permanences et variations/mutations dans le paysage observé, le mode de vie de la population, entre les premières et les dernières images ?

Il y a deux photos qui datent de plus de vingt-cinq ans. Le reste des images ont été prise ces six dernières années.

Le paysage change tout le temps à cause de l’agriculture sur brulis. Donc la vallée change en permanence. Depuis deux ans, du haut des cimes, on décèle quelques taches blanches rectangulaires perdues dans la canopée et les rizières. Ce sont les premiers toits en tôles ondulée. Le progrès arrive… Les Palawan restent des agriculteurs et des chasseurs-cueilleurs, et vont encore parfois dans des cavernes pour se protéger lors des violentes moussons ou les ouragans se déchainent. Beaucoup quittent la vallée pendant quelques jours, quelques semaines, pour aller travailler dans des plantations. Ils deviennent alors des ouvriers agricoles.

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© Pierre de Vallombreuse

Les habitants de la vallée où vous vous rendez depuis trente ans se considèrent-ils comme philippins ou précisément « de la vallée » ?

Ils se considèrent comme des Palawan leur ethnie dont le territoire est le Sud de l’île de Palawan. Mais comme des Palawan de La Vallée. Le territoire de naissance est très important et donne naissance au groupe.

Comment les personnes que vous avez rencontrées reçoivent-elles vos photographies ?

Autrefois, elles n’y trouvaient aucun intérêt. J’ai quitté la vallée pendant quinze ans. A mon retour il y a six ans, j’ai apporté un livre en couleur édité à la fin des années 9O. Et là, ce fut le choc pour eux : ils ont pris en pleine figure vingt-cinq ans de leur vie. A chaque voyage, j’en apporte deux tellement la demande est forte.

Quel type de système religieux structure-t-il en ces forêts lointaines la vie spirituelle ?

Ils ont un dieu suprême, Ampuq , suivi d’une multitude de génies, divinités, monstres dévorant les humains, êtres invisibles malfaisants ou bienfaisants. Rien n’est figé chez eux, une nouvelle divinité peut surgir lors d’un rêve. Tout évolue dans leur pensée, rien n’est figé.

Comment éviter les pièges du mythe du « bon sauvage » ? Est-ce d’ailleurs un mythe ? D’où provient le mal pour les personnes que vous connaissez ?

C’est un mythe. L’être humain est partout pareil avec ses défauts et ses qualités. Jalousie, tromperie envie, etc., sont notre lot commun. Ceci dit, la société et la pensée Palawan est pour moi une des plus belle que j’ai rencontrée : doucement anarchiste, il n’y a pas de véritables chefs chez eux, fondamentalement pacifique et non violente, égalitaire entre homme et femme et dotée d’un sens de l’humour féroce.

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© Pierre de Vallombreuse

Le vert intense choisi pour inaugurer et terminer le livre m’a fait penser à celui du film de John Boorman, La forêt d’Emeraude (1985). La référence est-elle pour vous sacrilège ou simplement hors de propos ?

J’ai adoré ce film vu il y a longtemps. A l’époque, étudiant à l’Ecole nationale des Arts Décoratifs de Paris, il m’a fait rêver et donné envie de me perdre dans la jungle.

Pourquoi avoir choisi de ne pas photographier d’animaux, ni de montrer vos personnages au sein de leur(s) village(s) ?

Les animaux, ce n’est pas mon truc. Sauf s’il y a interaction avec les humains. Ou alors un serpent car ça me fait peur…  Là, on a privilégié la poésie du lieu, de la nature. Les Palawan n’habitent pas des villages mais de tous petits hameaux de une, deux ou trois maisons.

Qu’est-ce que la forêt pour les Palawan ?

Un lieu de ressources alimentaires : gibiers et tout ce qui se récolte, plantes, fruits, escargots, etc. C’est aussi le lieu où habitent des esprits, des divinités.

En quoi trente ans de vie partagée avec ce peuple vous a-t-il changé ?

Il m’a réconcilié, en partie, avec l’humanité et j’ai pu y réaliser mon rêve d’enfance : devenir Mowgli.

Propos recueillis par Fabien Ribery

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Pierre de Vallombreuse, Une Vallée, paroles des Palawan, sélection et traduction Nicole Revel, the (M) éditions, 2018, 57 images, 66 pages + livret de texte de 8 pages – édition limitée à 205 exemplaires signés et numérotés

the (M) éditions

Site de Pierre de Vallombreuse

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