
Chacun se souvient peut-être du film d’Alfred Hitchcock North by northwest (1959), La Mort aux trousses.
Cary Grant y joue le rôle d’un publicitaire new-yorkais, Roger Thornhill, pris par erreur par des malfaiteurs pour l’espion George Kaplan.
Le réalisateur britannique s’amuse des identités, jusqu’au vertige.
Qui est qui ?

Sur le vaste plateau de cinéma que l’on appelle la vie à l’heure du spectaculaire intégré (leçon debordienne), il est trop tard pour avoir une intimité. L’idée même d’intériorité devient risible pour les maîtres du monde.
Nous croyons jouer un rôle d’importance dans le vaste concert des apparences, nous ne sommes que de piètres figurants.
Lorsque l’on est née en 1972, on sait d’expérience que la Guerre du Golfe n’a jamais eu lieu (Baudrillard/Virilio) et que la mort est un écran de télévision (Timisoara).

Lorsque l’on est Géraldine Lay, on sait que la photographie est un formidable outil pour suspendre le temps, renvoyer chacun a ses mises en scène involontaires, et montrer la lumière dans la lumière, qui est amour, qui est mélancolie.
North End, son dernier livre publié aux éditions Actes Sud, après Impromptus (Poursuite Editions, 2017) regroupe un ensemble d’images prises en Grande-Bretagne.
Les personnes qu’elle y a rencontrées sont des citadins soumis comme chacun aux réalités marchandes du moment, elles pourraient être de partout, mais sont malgré tout irrémédiablement britanniques.

Quelque chose persiste d’un atavisme, d’une reconnaissance de clan.
Malgré le jeu des poses et des costumes, les barbes finement taillées et les coquetteries de femmes, il y a en chacun un air de solitude qui est un bien précieux, peut-être la seule possibilité de former véritablement une communauté.
Géraldine Lay s’intéresse ainsi davantage à l’exil intérieur qu’au festin des rencontres.
Son regard fige dans le théâtre des villes des situations, des postures, le ballet des corps affairés.

Il est d’empathie sans aucune mièvrerie, de fraternité distante et émue, car la photographe elle-même est une poupée de cire opiniâtre perdue dans ses rêveries.
Si la picturalité d’un Hopper semble ici si prégnante, c’est que chacun paraît attendre une impossible révélation et que demeure surtout une infranchissable distance d’avec l’autre, d’avec soi-même.
Mais il y a les couleurs, les ombres, les gestes, les peaux, les flaques d’eau, les chevelures, toute cette vie dans la vie, la poussée des végétaux, cet insaisissable qui sauve, qui rend muet.

Les téléphones portables ont capturé les mains, les yeux, les psychés, nous vivons comme des prisonniers.
Pourtant l’être humain est un animal qui espère, qui attend, qui aime les histoires.
Dans un texte plein de panache, l’écrivain nord-irlandais
Robert McLiam Wilson commente le travail de Géraldine Lay : « Les grandes photographies sont des rebelles, des insurgées dans cette lutte perdue pour la vérité et la profondeur. Elles font quelque chose d’incroyablement téméraire et révolutionnaire. Regarde, disent-elles, la vérité de cette personne – de ces personnes – ne leur appartient pas. Leur vérité n’est pas un manteau qu’elles portent, un outil qu’elles trimballent. Leur vérité est ici. Regarde. »
North End est un livre qui charme au suprême, simplement, savamment, comme un rapt en pleine rue.
Géraldine Lay, North End, texte de Robert McLiam Wilson, Actes Sud, 2018, 96 pages – 60 photographies
Exposition éponyme aux Rencontres de la photographie (Arles), du 2 juillet au 23 septembre 2018
Exposition collective De l’inconstance de la mélopée, au Centre d’art contemporain Chapelle Saint-Jacques, Saint-Gaudens, du 30 juin au 1er septembre 2018
Exposition collective Honneur aux éditeurs à la Galerie Le Réverbère (Lyon), du 7 septembre au 29 décembre 2018
Paris Photo 2018, du 8 au 11 novembre 2018
Géraldine Lay est représentée à Lyon par la galerie Le Réverbère
