
On connaît l’intérêt du photographe Mathieu Pernot pour la prison (livre Hautes Surveillances, Actes Sud, 2004), les lieux de relégation (Un camp pour les bohémiens, Actes Sud, 2001), les anonymes (Les Migrants, GwinZegal, 2012), les architectures imposantes (Le grand ensemble, Le Point du jour, 2007) et son attachement pour la famille tzigane des Gorgan (publication aux Editions Xavier Barral en 2017).
Son travail concernant la prison de La Santé à Paris fait aujourd’hui l’objet d’un livre (chez Xavier Barral) et d’une exposition (au CENTREQUATRE-PARIS).
On y retrouve ses préoccupations majeures, sur les traces, les vies fantômes, la politique carcérale, portées par la pensée d’une dialectique des images, le livre étant conçu en deux parties, aux photographies de la prison vidée de ses occupants succédant celles du bâtiment en cours de destruction.

« La Santé » était un lieu insalubre, une antichambre de l’enfer, que les prisonniers tentèrent d’humaniser en dessins, posters (puissance de l’art pornographique) et paroles, car ici les murs parlaient, s’enrageaient, criaient.
Mathieu Pernot reproduit dans son livre un très grand nombre d’inscriptions (graffitis, sentences diverses) aperçues en ces territoires d’hostilité, comme des contrepoisons ou pratiques de désenvoûtement : « SA MERE LA POLICE », « 100 % MARSEILLAIS REFRE », « LONDON », « ENTRE LE DESIR ET L’ACTION IL Y A LE RESPECT », « Prison = raison d’état tous des salauds »
Mais il ne s’agit pas simplement pour lui d’inventorier les signes d’une vie disparue, plutôt de la faire ressurgir, de la deviner sur fond d’absence et d’effroi.
« mais jesus est un / pede de sa race de merde / il baisait avec des chevres / du même que lui »
La laideur est ici une double peine. Elle est moins celle des lieux que celle d’une administration, d’un Etat, ayant laissé se dégrader à ce point un habitat de peine.

Les murs sont lépreux, couverts de voitures de sport, de ballons de football ou de basket, de signes de mort ou de vulves, ou pire encore abandonnés à leur seule déréliction, nus, dégueulasses.
« c’est dimitri vanessa stp / laisse moi te lécher / la chatte !! / j’ai trop envie »
Des latrines, des portes blindées, des filets de sécurité.
La promiscuité, la saleté, des marques de religiosité ou de combats politiques (corses, basques).

« sois pas triste les miracles existe de la part / des prophètes / alors crois en eux »
Maintenant, la prison est effondrée (partie 2). Un nouvel établissement doit être ouvert bientôt au même endroit.
Il faudrait y laisser entrer les photographes, pas simplement le jour de l’inauguration, mais de façon permanente.
Photographie et démocratie, voici un thème pour aujourd’hui, pour demain.

Mathieu Pernot, La Santé, introduction de José-Manuel Gonçalvès, préface de Mathieu Pernot, Editions Xavier Barral, 2018, 128 pages – 75 photographies couleur
Exposition éponyme au CENTQUATRE-PARIS, du 13 octobre au 6 janvier 2019
Mathieu Pernot est représenté par la galerie Eric Dupont (Paris)