
Le titre du livre L’architecture comme relation (Actes Sud, 2018) n’est pas neuf, mais il importe de rappeler cette évidence quand le désir d’architecture s’origine uniquement dans l’ego.
Prisonnier de sa fatuité, tel n’est pas Patrick Bouchain, dont le travail est un éloge des fraternités discrètes et des bricolages identitaires portés par des structures les accueillant pleinement.
A Calais, il rénove les anciens abattoirs pour y construire un théâtre à la forme inventive, immédiatement adopté par la population.

A Nantes, il réhabilite Le Lieu Unique, et c’est un succès populaire.
Le Magasin, à Grenoble, premier Centre national d’art contemporain, c’est lui.
Le Studio-théâtre à Vitry-sur-Seine, c’est lui.
Le chapiteau itinérant La Volière Dromesko, c’est lui.

Le Théâtre équestre Zingaro à Aubervilliers.
La Tente du Théâtre du Radeau au Mans.
La Maison des musiques d’Afrique et du monde à Abidjan, ce sera peut-être lui.
On le remarque, nombre de projets de Patrick Bouchain concernent des lieux de culture pour tous (Foyer du théâtre T2G à Gennevilliers, l’espace musical La Sirène à La Rochelle), réalisant en bâtiments ouverts et festifs l’ambition d’un Jack Ralite ou d’un Jean Vilar.

L’historien Pierre Frey écrit joliment de lui, dans la postface de l’ouvrage Patrick Bouchain, l’architecture comme relation (inventaire de 150 projets menés entre 1967 et 2017) : « Les provinces parcourues par Patrick Bouchain et ses complices ont vu se dresser ses tentes, son camp ; il occupe les paysages, les révèle et parfois les structure. Il le fait avec la grâce, la légèreté du peintre Simone Martini et, puisque Sienne est ainsi évoquée, il est permis de dire qu’il reconstruit le paysage rêvé par Ambrogio Lorenzetti pour ses effets du bon gouvernement [lire à ce propos le livre remarquable de Patrick Boucheron]. »
L’architecture comme relation est un livre à la fois savant et ludique, pouvant se regarder avec les yeux d’un enfant. Des croquis aux crayons gras, des carnets à spirales, une profusion de dessins colorés, des maquettes splendides, en bois, carton, plume, papier crépon, bâche, plâtre, papier calque.

Chez Bouchain, la fragilité préserve la force, et la vulnérabilité la puissance, comme dans un poème chinois de l’époque Tang.
Mais l’architecture taoïste de Patrick Bouchain, qui a donné récemment ses archives au FRAC Centre-Val-de-Loire, est aussi celle d’un anarchitecte, ici, là, bien loin de toutes les prisons de luxe que ses collègues starisés ont parfois édifiées.

L’écrivain Sylvain Tesson a fait l’éloge des chemins noirs, ces routes abandonnées, que même les cartes IGN ne mentionnent plus.
Un autre voyage de liberté est possible, qui serait de parcourir la France pour y rencontrer des bâtiments pensés pour que s’y épanouisse « le devenir révolutionnaire des individus » (Gilles Deleuze).
Partir du lieu, ne pas craindre de dériver, ne pas oublier ce qui le fonde comme ensemble de liens possibles.
Patrick Bouchain, l’architecture comme relation, sous la direction d’Abdelkader Damani, postface de Pierre Frey, Actes Sud, 2018, 288 pages – 400 illustrations