
Ouarzazate, de Mark Ruwedel, est un livre dont la couverture cartonnée toilée et moirée – couleur terre – est somptueuse.
C’est une tempête de sable, des points de soleils bruns, un miroir opaque où perdre tout repère, toute image.
A son dos est inscrit en arabe et tamazight, système d’écriture berbère conservé historiquement par les Touaregs, le nom de cette ville située au sud des montagnes du Haut Atlas marocain, à deux cents kilomètres de Marrakech, aux portes du désert saharien.

Trois écritures, trois civilisations, trois perceptions différentes du monde, un carrefour caravanier.
Invité par le Marrakech Museum for Photo and Visual Arts à y séjourner entre 2014 et 2016, le photographe américain Mark Ruwedel y a rencontré une vérité de fiction.

En effet, connue pour son impressionnante Kasbah de Taourirt, Ouarzazate est aussi depuis 1962 et le tournage de Lawrence d’Arabie par David Lean l’un des lieux phares pour l’industrie du cinéma mondial ayant besoin de lumière, de désert, de grands espaces vierges.
Y furent tournés notamment Œdipe Roi (1967), Un thé au Sahara (1990), Kundun (1997). Pasolini, Bertolucci, Scorsese.

A la chambre, à la façon de Maxime du Camp (1822-1894) et Auguste Salzmann (1824-1872), Mark Ruwedel a photographié des fantômes de décor, des rêves abandonnés, un territoire où le temps chronologique est bouleversé.
Se côtoient sans ordre apparent des constructions d’apparence médiévale, des ruines romaines, des temples égyptiens.
Voici un trébuchet, une tour en bois pour l’attaque d’un château, des murailles soutenues par une forêt d’étais.

Tout est force et tout est dérisoire, tout est cinéma.
Les humains ont disparu, enlevés par plusieurs millions de soucoupes volantes géantes, il reste des bâtiments, des illusions.
Ces restants de décor ensablés, ce sont des mirages battus par les vents.

Une porte est tombée, il ne reste rien des milliers de figurants qui s’étaient empressés en ces lieux, juste un grand vide presque lunaire.
Mais ne vous y trompez pas, ces ruines peuvent à tout instant reprendre vie, se charger de cris, de matériel high tech, de grues de caméras.
Pour le moment, la ville dort, les trains ne sifflent pas, et l’on n’entend aucun coup de feu, ou de fouet de garde chiourme.

Photographiée par Mark Ruwedel, les studios de cinéma de Ouarzazate sont un vaste trompe-l’œil continu aux marges d’une ville dont on peut se demander si elle existe vraiment.
L’arche de Noé est échouée à 1100 mètres d’altitude, sur un océan de pierres.

Il faut régulièrement sauver l’ensemble du monde vivant.
Cela peut s’appeler le cinéma, la photographie, ou tout simplement l’art.
Mark Ruwedel, Ouarzazate, texte de Mark Ruwedel, MACK (London), 2018