« Partout où le soleil se lève et se couche dans le tumulte de la ville comme sous le ciel infini de la campagne, la vie est toujours la même : parfois amère, parfois douce. »
Sorti aux Etats-Unis en 1927, L’Aurore, du réalisateur allemand Friedrich Wilhelm Murnau, est selon François Truffaut « le plus beau film du monde », ayant bénéficié, dit-on, d’un budget illimité.
Le cinéma muet est alors à son apogée, et possède un pouvoir d’envoûtement unique.
L’histoire de L’Aurore (Sunrise – A Song of Two Humans) est simple, dramatique, et finalement heureuse.
Dans un village de pêcheurs de la campagne américaine, un homme de peu marié à une femme douce qui le contente, s’éprend d’une citadine très séductrice. Sous son influence, il décide de la noyer, sans y parvenir, celle-ci s’enfuyant vers le centre-ville, ses lumières, ses fêtes, sa modernité.
Après être parvenu à se réconcilier, le couple contracte une nouvelle alliance conjugale, décidant de rentrer au village en canot, avant qu’une tempête n’éclate.
Croyant son épouse engloutie par les eaux, le fermier décide de se venger en tuant la tentatrice, mais au moment où le soleil se lève son aimée réapparaît.
Dans son universalité, sa façon de nouer Eros, Thanatos et matin du monde, ce film est bouleversant, parce que chaque plan est une magie de composition, parce que la nature est superbe, parce que nous ne serons plus jamais innocents.
Cette œuvre, nous pouvons à présent la lire comme un roman-photo, le graphiste Yannick Le Vaillant ayant décidé pour les éditions Conspiration d’en extraire les photogrammes dans leur ordre chronologique, ainsi que les intertitres, et de les disposer sur la page à la façon des cases d’une bande dessinée, la confusion entre dessin et plan cinématographique créant une grande beauté, faisant penser à un rêve éveillé ou au monde flottant japonais.
Il y a ici du sublime dans les scènes nocturnes et l’universel d’un amour contrarié entre un homme et une femme surmontant le mal.
Une fois chassé le serpent, la déchirure mène à l’étreinte qui mène au baiser.
Chaque photogramme est un tableau, puissamment érotique dans sa vibration de vie.
Les intérieurs sont nus, l’essentiel est une nature morte.
Mais le désir est un tyran, un veau d’Or.
Un petit enfant pleure dans son lit, tandis que son père embrasse sa maîtresse, très douée pour lui donner du plaisir.
Ses propositions sont indécentes, il l’étrangle, elle l’empoigne, l’herbe se souvient de leurs corps.
La folie règne près d’une brassée de joncs.
C’est un démon femelle en superposition transformant l’homme en bête.
Voici une église, le lieu du pardon.
On y célèbre une cérémonie heureuse : « Par les liens sacrés du mariage, Dieu vous donne sa confiance. Elle est jeune et innocente, guidez-la, aimez-la, gardez-la et protégez-la de tout mal. »
La pureté attire le diable, ne supportant pas le bonheur qui annule sa puissance.
Ils entrent chez un photographe, ils rient, leur complicité est évidente.
Dépassant la fascination pour le mélodrame, Murnau célèbre, contre l’enfer des furies et la fascination pour l’artifice, la vie simple et la douceur de vivre à deux.
L’avant-dernier plan/photogramme/dessin est l’un des plus beaux de l’histoire du cinéma: elle a les cheveux déliés, la gorge blanche, et offre ses lèvres à l’homme qu’elle aime.
Ce pourrait être un tableau du Belge Spillaert, mais sans la mélancolie et le goût pour l’effroi.
Murnau, L’Aurore, par Yannick Le Vaillant, Conspiration éditions, 2019, 110 pages
Super Merci Bon Noël
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