José Manuel Navia est un photographe espagnol né à Madrid en 1957, dont les travaux documentaires, toujours en couleur, explorent les interactions entre les hommes, les bêtes et les lieux.
Ayant choisi l’Espagne comme territoire de prédilection, il ne cesse d’interroger, sans aucun passéisme, la mémoire d’un peuple inscrit dans la ruralité et les traditions régionales.
S’attachant à ménager en chaque image des profondeurs de noir, il y a dans ses photographies une dimension ténébriste ouverte aux merveilles de la lumière.
Ici, le soleil est un maître généreux et cruel, comme la nuit d’infini d’où il procède.
Ici, il fait souvent froid.
Un homme s’apprête à découper le cochon qui a chu, ses mains ne sont pas violentes, mais précises, déterminées, justes, celles d’un grand-père aimant ses petits-enfants.
On boit un verre dans la cuisine à peine éclairée, on ne parle pas pour ne rien dire, même dans l’ivresse.
Dans les montagnes lointaines de la péninsule ibérique, comme en Corse, dans les Monts d’Arrée ou en Ariège, il y a des dames de 93 ans très coquettes portant depuis toujours le même tablier bleu.
Bien sûr, les villages sont parfois déserts, mais ils tiennent bon, disponibles pour demain, pour les égarés, pour les migrants, pour les amoureux.
Le marcheur bute sur une pierre, qui est un témoignage de la vaste histoire de la chrétienté.
Cette nuit, la neige est tombée, on pourrait être à Bethléem dans un conte de Noël.
Il y des mystères, des histoires tues, des visages qui ne s’ouvriront pas, et des enfants à l’école apprenant à écrire leur langue.
La main glisse sur le papier glacé, mais que se passe-t-il derrière cette porte laissant filtrer une lumière jaune ?
Navia ne photographie pas, mais construit des tableaux, donnant à ses visions une dimension picturale exauçant chaque présence, d’un mouton, d’un couteau sur une table, d’une aïeule devant son fourneau.
Les personnes âgées sont nombreuses, résistantes, vraies, dans un monde happé par la guimauve empoisonnée des écrans de télévision.
Regardez mes mains, monsieur, regardez la photo de ma pauvre vielle mère défunte, regardez les ruines que nous n’abandonnerons jamais.
Tu peux crier tant que tu le pourras, ici tu es libre d’être seul.
Tempo des dominos, de la radio, de la météo, dans la province de Burgos, en Andalousie ou près de Huesca.
La terre est encore labourée, voyez-y miracle, ou, simplement, fidélité obstinée aux ancêtres.
La vie est simple, répétitive, dure, et pourtant désirable quand il est l’heure de se réunir autour du feu.
Navia photographie une Espagne où ce sont les fous, les personnes âgées et les obstinés qui font vivre les montagnes et l’âme des bourgs à vendre.
Chacun a son histoire, ses douleurs, ses fantômes, ses hantises.
Chacun est déjà mort plusieurs fois de son vivant.
Chacun a souvent douté de Dieu.
Mais chacun est là, encore, dans la grâce du simple, inquiet pour un enfant malade attendant le docteur, pour une bête subitement couchée sur le flanc, pour une toiture qui prend l’eau.
A Campo de Aliste, dans la province de Zamora, il y encore une boulangère.
C’est une sainte.
Navia, Alma Tierra, texte de Julio Llamazares, design underbau, Acción Cultural Española (AC/E) & Ediciones Anomalas, 2019, 220 pages
Navia est membre de l’agence VU’
Exhibition at Diputación de Huesca – du 15 novembre 2019 au 6 janvier 2020 – organised by Acción Cultural Española (A/CE) with the support of Diputación de Huesca