
Les beaux amis du collectif belge 1010 voient la vie en noir, mais leurs projets sont pourtant chargés d’une indéniable énergie positive, venant de l’effort de fraternité, d’une tendresse pour leur pays, d’une cohérence de vision allant vers la chaleur de l’unité.
Leur deuxième opus, Noordzee Project, est une balade sur les rives de la mer du Nord abordées comme une mosaïque de territoires étranges, populaires et abîmés.
On pourrait être à Brighton, mais il s’agit bien plus vraisemblablement de La Panne, Blankenberge, Ostende, Zeebruges, Nieuport.

1010, c’est un ensemble de dix photographes offrant chacun dix vues d’un même espace défini en commun.
On ne sait pas qui photographie quoi, qui est qui, mais peu importe, quand prime la force d’impact des images.
Baudelaire, qui n’aimait apparemment pas la Belgique, aurait appelé cela des fusées.

Noordzee Project est une pieuvre aux cent tentacules, ou une armada de cent méduses flottant un demi-milliers de fois (cinq cents exemplaires) sur les étals des meilleures poissonneries de livres.
Noordzee Project a le dos plissé, un maillot de bain extralarge, et un sac plastique rempli de petits crabes rouges.
Il a la truffe d’un chien à mémé, la tronche d’un sale gosse obèse, et la gueule hilare d’un buveur de Westmalle.

Kevin, je t’M, retrouve-moi à dix heures près des jeux de la plage, on pourra se palucher.
Il y a un vent d’enfer, des chevelures d’enfer, des voitures américaines d’enfer, comme à Cuba.
Il y a des nonnes, des femmes nues en bronze et des portraits de la Vierge Marie.

Les immeubles tremblent, le carnaval est glacé, et la mer presque gelée.
L’un est au garde-à-vous, l’autre exhibe son sexe, un troisième chevauche un crocodile gonflable, un dernier remonte ses lunettes en clignant des yeux.
C’est ça le Nord, coco, comme un peu plus bas, à l’Estaque, lorsque les jeunes déboulent de leurs quartiers à peu près aussi pourris qu’une bière éventée.
C’est ça le charme des stations balnéaires fantomatiques, des couloirs d’hôtel à la moquette usée, des manteaux de fourrure pelucheux.

Tu as l’air d’un Iroquois, d’un rescapé de Tchernobyl, d’un chien obsédé, d’une église à bombarder.
La neige craque sous tes pas, le sable file entre tes doigts, et la mer avale tes derniers rêves.
Anti-guide touristique, Noordzee Project est pourtant une formidable invitation au voyage, pour le Nord, pour sa mer irisée de nappes de pétrole, pour la photographie, et pour ses habitants, alcooliques, dignement déglingués, merveilleusement fous et bruts de décoffrage.
En vous laissant biffer les clichés.
1010, Noordzee Project, design Dirk Studio, photographies de Vincen Beeckman, Katlijn Blanchaert, Christopher de Bethune, Manu Jougla, Maxime Lemmens, Renée Lorie, Thomas Marchal, Marie Sordat, Mathieu Van Assche, Simon Vansteenwinckel, éditions Le Mulet, 2019 – 500 exemplaires