
Tout ment, cache, masque, dissimule, sourit dans le faux.
Tout se vante, se monte le bourrichon, épate sa galerie, s’enveloppe de discours comme on revêt la toge virile.
Pourtant, il y a eux, les autres, les oubliés, les déglingués, les inconvenables, les relégués, les invisibles.
Ce sont les êtres cabossés de Skin Close (Journal, 2018), qu’a photographiés le Suédois Magnus Cederlund, ayant vécu pendant trente ans à Copenhague.

Ils viennent de la rue, de la plèbe, de la glèbe.
Ce sont les princes et dames de haute grâce de la cour des miracles d’aujourd’hui.
Ce sont les génies de la vie nue, effrayants, nobles, impérieux.
Ils sont poilus comme des ours bruns, portent des bagouses à chaque doigt et se repaissent de glaces bon marché.

Ils ont les yeux inquiets, fatigués, épuisés.
Ils vivent de bric et de broc, de gli et de glu, et sont la plupart du temps cuits, ou faits comme des rats.
L’un a la jambe cassée, reposant sur un fauteuil à la façon d’un ogre effondré.
L’autre porte des sacs plastiques remplis de cannettes de bières.

Magnus Cederlund photographie les clodos du coin, ses amis, pochtrons râleurs, bagarreurs et généreux.
Partageant leur intimité, le voici près d’eux, accueilli dans les appartements sociaux, les cuisines, les salles de bain.
Ici se lave l’humanité irréductible, le peuple éternel, les réprouvés de toujours, maigres, dépenaillés, de vrais hiboux.

Tatouages, signes de religiosité, casquettes.
Pose d’une vieille indienne nue, couchée dans une position fœtale sur un matelas blanc.
Les corps sont malades, souffrent, et s’aiment à bout de forces en gros plan.
Des cigarettes, des bouteilles de mousseux, des peluches d’enfants.
Peaux ridées, fripées, exténuées, frappées.

Les soulographes se tiennent la main, s’échangent des coups, ont les lunettes brisées.
C’est le carnaval, c’est la drogue, c’est une vie de chien des rues.
– Quel est votre espérance de vie, madame ?
– Et la vôtre, monsieur ?

Dans le cabaret des amours affolées, il y a des nymphes incroyablement belles.
On s’embrasse, on se drague, on fait la fête, on rit, on se travestit.
Skin close est un cinéma permanent, trash et sublime.
Magnus Cederlund, Skin Close, postface Keith Thomas Lohse, éditions Journal, 2018

