C’est un ouvrage très élégamment conçu qui ravira les amateurs de livres, comblera leur besoin d’en savoir davantage sur leur fabrication technique, devancera leur curiosité en lançant de multiples pistes inattendues.
Les auteurs Christian Laucou, artisan typographe au plomb ayant été professeur de typographie à l’école Estienne, et Eric Dussert, critique littéraire, essayiste, le présentent malicieusement ainsi : « L’opuscule que nous vous proposons aujourd’hui, petit dernier de l’innombrable troupe des ouvrages qui se publient depuis la fin du premier millénaire, n’est ni un dictionnaire, ni une encyclopédie, pas plus qu’un lexique, non plus qu’un compendium, un guide, un traité ou un manuel ; il a été pensé comme une joyeuse collection de mots, de figures et de notions qui se lisent dans le désordre pour découvrir ce qui fait de la civilisation humaine une exception dans toute la galaxie. »
Il faut donc le consulter sans complexe, au hasard, se laisser dériver, apprendre sans tout retenir, puis revenir sur nos pas lorsque quelque chose nous chiffonne.
Du corps à l’ouvrage, Les Mots du livre est donc un espace ouvert, un territoire libre offert à la sagacité de chacun.
Il commence par Achevé d’imprimer et se termine par Yappe, défini ainsi : « Peu usité, le mot yappe désigne la fine couverture de peau qui recouvre les guides et dictionnaires de poche, dont l’usage répétitif met l’ouvrage à rude épreuve. Ce qui explique que la yappe se replie également sur leur tranche de gouttière qu’elle recouvre complètement. »
Gouttière ? Bigre, allons-y voir de plus près : « Celles utilisées dans le livre ne récupèrent pas l’eau de pluie. C’est tout simplement le blanc qui sépare deux colonnes de texte. Elles peuvent être appuyées d’un filet ou non. En reliure, la gouttière est la tranche concave du livre située à l’opposé d’un dos arrondi. »
Ce qui nous entraîne du côté de filet, etc.
Tiens, je tombe sur Guido d’Arezzo (995-1050) : « Moine bénédictin italien, inventeur de la méthode d’inscription de la musique, y compris la dénomination des notes elles-mêmes en utilisant les premières syllabes de l’hymne des vêpres de la naissance de saint Jean-Baptiste : Ut queant laxis / resonare fibris / Mira gestorum / famuli tuorum, / Solve polluti / labii reatum, / Sancte Iohannes. (Paul Diacre) »
A ses côtés se trouve Aristophane de Byzance (-257/-180 av.J.-C.) : « Ce grammairien grec introduisit les accents et la ponctuation dans la langue grecque, ce qui en facilita la lecture. »
Parmi les noms propres, il y a aussi le poète-typographe Pierre-Albert Birot, George Auriol, Marius Audin, Famille Elzevier (Elzévir), et quantité d’autres.
On découvrira ici les secrets de l’esperluette, de l’ISSN, de l’arobase, de la queue, de la poupée et du larron : « Le larron est le morceau de papier volant qui vient se coller aux feuilles pendant l’impression et cause une lacune d’impression à la feuille en s’interposant entre le caractère encré et elle. Il est à l’origine de la fenêtre ou du moine. »
On le comprend, Du corps à l’ouvrage, n’est pas du genre à rester fermé longtemps, il préfère l’ouvrir, et c’est très bien comme cela.
Eric Dussert & Christian Laucou, Du corps à l’ouvrage, Les mots du livre, La Table Ronde, 2019, 288 pages