© Shiraz Bazin-Moussi
Publié par les éditions marseillaises Le Bec en l’air, L’écume des amnésies est le premier livre de la photographe franco-tunisienne Shiraz Bazin-Moussi.
C’est un retour en tirages Fresson au pays de l’enfance, les méconnues îles Kerkennah, archipel situé au large de la ville côtière de Sfax.
© Shiraz Bazin-Moussi
Que reste-t-il des images, impressions et sensations de la petite enfance ?
Que reste-t-il des images de la Tunisie au temps de la colonisation, puis de la dictature ?
Que reste-t-il des vacances d’une petite fille devenue adulte dans un pays à la mémoire blessée ?
© Shiraz Bazin-Moussi
« J’ai fait le voyage avec ce qu’il restait de mon regard et de mes sensations d’enfant – de loin mes souvenirs de vacances les plus intenses et les plus joyeux, précise la photographe. L’aventure commençait par le trajet en voiture où s’entassaient enfants, adultes et bagages mal ficelés. Il y avait aussi ces serviettes humides coincées dans les portières pour estomper le soleil brûlant, les discussions sans fin pour savoir qui occuperait les places près des fenêtres… Je ne sais par quel miracle nous tenions à neuf dans une voiture prévue pour cinq. Nous étions bruyants, insouciants, libres et heureux. Bien sûr, quand adulte j’ai retrouvé Kerkennah, il ne restait plus grand-chose de ces souvenirs d’enfance, mais la petite fille en moi était encore là, toujours avec le même besoin de liberté. »
L’écume des amnésies est un livre de grande délicatesse, dont la matière documentaire, devenue onirique par la force du procédé de tirage quadrichromie au charbon direct Fresson, est chargée d’une poésie qu’exalte la reliure à la japonaise – les pages non découpées, le papier qui s’ouvre en retenant ses secrets.
© Shiraz Bazin-Moussi
Peu d’images, quelques barques, une tortue retournée, des oranges, des cadres, une piscine vide, le beau visage d’une enfant, et beaucoup de silence.
Tout se devine ici, entre oubli et apparition de signes, de couleurs, d’objets.
La pudeur de la petite fille et la geste révolutionnaire.
Les pontons brisés et les drapeaux levés.
Le boucher et le ciel d’été.
Les serviettes qui sèchent et le téléphone bleu symbolisant le temps, le lien, l’absence.
Le sirocco et les dernières embrassades.
© Shiraz Bazin-Moussi
« La marée, je l’ai dans le cœur / Qui me remonte comme un signe / Je meurs de ma petite sœur / De mon enfant et de mon cygne / Un bateau, ça dépend comment / On l’arrime au port de justesse / Il pleure de mon firmament / Des années lumières et j’en laisse », écrit superbement Léo Ferré dans La mémoire et la mer.
La marée, ou, pour Shiraz Bazin-Moussi, la Tunisie de son enfance joyeuse, loin du petit appartement parisien où la famille vivait.
La marée, la mémoire, la liberté, et la force motrice de l’amnésie devenue un très beau livre construit comme un lieu où ne plus cesser d’habiter, sur la pointe des yeux.
Shiraz Bazin-Moussi, L’écume des amnésies, édition Fabienne Pavia, textes Thierry Fabre et Shiraz Bazin-Moussi, Le Bec en l’air, 2020, 56 pages
Shiraz Bazin-Moussi / Le Bec en l’air
© Shiraz Bazin-Moussi