
©Romain Laurendeau
« Il fallait que je raconte ces jeunes qui n’intéressaient personne. J’ai alors décidé de les suivre dans leur errance. J’ai photographié la vie quotidienne dans sa simplicité. Jusqu’à l’obsession. Des moments suspendus qui saisissaient une situation singulière et inquiétante. L’ennui et la frustration de la rue. La rage revendicative des stades. Les instants de liberté éphémère dans des lieux discrets, cachés de la société. »
En février 2019, le jeune peuple algérois descendit dans les rues, faisant fi de la peur et des possibles répressions.

Ayant découvert l’Algérie en 2014 et remarqué très vite l’abandon par le pouvoir de la jeunesse de son pays, manquant d’espoir, s’ennuyant ferme, rêvant d’un impossible ailleurs, Romain Laurendeau, photoreporter multiprimé pour ses images et reportages, a décidé de raconter la genèse de sa révolte, de la rendre visible, de la reconnaître.
Dans un livre superbe – avec reliure à la suisse et rabat -, composé essentiellement d’images en profondeur de noirs, intitulé Kho (frère, ami, en arabe), le photographe qui connaît la valeur du voir, ayant failli perdre la vue il y a plus de vingt ans, a fait le portrait sans concession d’une jeunesse se considérant souvent comme une génération perdue.

La nuit est intense, c’est un tunnel sans fin où égarer ses dernières illusions.
On attend dans la frustration, on fume une énième cigarette, on s’autodétruit lentement.
Kho montre l’âpreté d’un quotidien où il ne se passe quasiment rien, l’insupportable étendue d’une vaste prison à ciel ouvert.

©Romain Laurendeau
La mer se fracasse contre les blocs de béton du front de mer, comme autant de destins brisés.
Il y a des tombes sur les collines, et là-bas, en contrebas, des immeubles à peu près blancs.
Les visages sont inquiets, et les yeux ravagés par le shit.

Manque d’argent, manque d’éducation, manque de sexe, manque de tout.
Les antennes paraboliques vendent la propagande du bonheur obligatoire dans les sociétés de consommation, mais, ici, comment consommer autre chose que le rebus des pays riches, et la lie de la mélancolie ?

Romain Laurendeau cadre serré, coupe, tranche, sculpte dans la réalité des blocs de signification brute et sauvage.
Les enfants sont en colère, les murs du quartier ont des gueules de misère, les garçons sont dehors, les filles à la maison.
Chacun s’enfonce dans la déréliction, le marasme, la répétition de l’inaction.

On se saoule, on se drogue, on se cogne, on se filme.
On joue au foot, au billard, aux dominos.
On danse, on s’assied, on s’allonge, on se surveille.

Comment aller plus loin que la paralysie ?
Prières, pluies, suffocations.
Jusqu’à quand sera-t-il possible de tenir comme cela, dans l’absurde et le manque ?

©Romain Laurendeau
Jusqu’à continuera-t-on à vivre ensemble dans la solitude des gueux ?
Escaliers crasseux, capuches, haine de soi, chômage.
Peaux déchirées, peaux suppliant des caresses, peaux trop vieilles déjà.

Beauté et enfer des stades uniquement masculins, sirènes de police, bastons, liesse.
Puis un jour, à l’aube, c’est la révolte, la beauté du Hirak, la foule qui dit non pacifiquement.

Mais pour combien de temps encore ?

Romain Laurendeau, Kho, The genesis of a revolt, textes (français/anglais) Romain Laurendeau, Editions [NO] / avec le soutien des éditions Photopaper, 2021, 208 pages – 800 exemplaires

Livre disponible sur le site de Romain Laurendeau

©Romain Laurendeau

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