Avant la guerre, une vie en images, par Alexis Cordesse, photographe, et des réfugiés syriens

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© Alexis Cordesse / Atelier EXB

« Il lui reste des photos prises avant la guerre avec son premier appareil numérique et son téléphone portable, des photos qu’il a sauvegardées, éparpillées sur le disque dur de son ordinateur. Il y a le voyage scolaire à Palmyre, les vacances au bord de la mer à Lattaquié, les virées avec sa première voiture, le voyage entre potes dans le nord du pays, les impacts de balles sur la carrosserie après les premières manifestations, le barbecue près de la rivière alors qu’il est déjà recherché par les services de sécurité. Je lui demande ce que sont devenus ses amis. Sur une photo de groupe, il pointe du doigt ceux qui ont été arrêtés, ceux qui sont sortis de prison et ceux qui y sont encore, ceux qui ont disparu et ceux qui sont morts. »

Les images du passé s’estompent, la vie s’est déplacée, il a fallu fuir, traverser des frontières, subir des humiliations, tenter de tout reconstruire.

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© Alexis Cordesse / Atelier EXB

Cette sensation d’effacement progressif du passé se nomme en arabe talashi, titre d’un ouvrage d’Alexis Cordesse rassemblant des photographies des archives personnelles d’hommes et de femmes ayant fui la Syrie.

Pendant trois ans, le photographe né en 1971 a rencontré des réfugiés syriens en France, en Allemagne et en Turquie.

Composé d’images prises entre 1990 et 2019 emportées dans l’exil, dans une valise, un portefeuille, un téléphone portable, une clé numérique, Talashi bouleverse par la sensation de vie et de simplicité qu’elles révèlent, une sorte d’évidence d’ordre et de quiétude dans le quotidien que la guerre est venue altérer, violenter, détruire.

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© Alexis Cordesse / Atelier EXB

Rien de spectaculaire, mais des moments privilégiés pour les protagonistes, des fêtes, des événements sportifs, des scènes de voyage, des rassemblement familiaux, et, en contrepoint ou hors-champ atroce, ce que l’on peut imaginer quand on ne l’a pas vécu, le bris, le glas, les ruines, la peur, la cruauté, la torture, les bombardements, l’asphyxie et la mort.

Si elles semblent pour un regard extérieur témoigner essentiellement de moments relativement anodins, ces images gardées précieusement avec soi peuvent s’avérer compromettantes et dangereuses pour les proches, le pouvoir répressif ne manquant pas de chercher en elles des complicités, des visages séditieux, des gestes d’opposants politiques.

Les images sont belles, chargées de la force affective des photographes, ce sont des herbes, des visages doux, des baignades, des jeux, des fraternités, des anniversaires, des routes.

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© Alexis Cordesse / Atelier EXB

Venant informer en les perturbant ces instants de bonheur, de courts textes racontent, à partir des paroles des exilés, ce qu’était la vie d’avant, et quelles furent les conditions ou nécessités du départ.

« Il s’appelle Ahmed, écrit Alexis Cordesse. Il me dit que dès la première manifestation, il s’est consacré à la révolution, qu’il était de tous les défilés, jusqu’à ce qu’un sniper lui tire dessus, que la balle rentre par la bouche et vienne terminer sa course contre la colonne vertébrale. Il me dit que c’est sa mère qui lui a sauvé la vie en réussissant à convaincre le chirurgien, qui soignait dans la clandestinité, de l’opérer. Il me parle de son arrestation, de la prison, de l’isolement, sans nouvelles de sa famille pendant plus d’un an, de son procès, de sa condamnation, puis de sa libération, de la clandestinité à nouveau, de sa fuite hors du pays. »

Haïfaa offre au photographe reporter sur clé USB des images témoignant d’un amour magnifique.

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© Alexis Cordesse / Atelier EXB

Ils viennent d’Alep, de Homs, de Daraya, de villes martyrisées.

Tuka, qui a compris que la dictature allait l’emporter sur la révolution, demande à ses voisins depuis son pays d’exil de brûler les photos restées dans son appartement.

 On fuit un pays, on quitte une famille, des amis, des lieux aimés, des odeurs, des couleurs, des formes.

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© Alexis Cordesse / Atelier EXB

Il faudra se faire accepter ailleurs, masquer par le sourire la déchirure intime, croire que la vie peut continuer à peu près normalement, et que le bonheur existe encore.

Talashi ne montre pas la désolation, mais la suggère sans cesse avec beaucoup de force par le montage des images rescapées et des paroles de vérité.

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Alexis Cordesse, Talashi, textes Alexis Cordesse, édition Nathalie Chapuis, maquette Elisabeth Welter, Atelier EXB, 2021, 128 pages

Alexis Cordesse – site

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© Alexis Cordesse / Atelier EXB

Atelier EXB

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