©Eric Antoine
Vivant et travaillant dans le Bas-Rhin, Eric Antoine est un photographe ayant choisi de se retirer en 2010 à la campagne afin de retrouver la sensation de la densité du temps et de la présence de toute chose.
Son œuvre, réalisée selon le procédé ancien du collodion humide, offre à qui accepte de rompre également avec les pièges des affairements quotidiens une expérience de recentrement.
Prendre le temps d’observer, non seulement pour le plaisir du spectacle de ce qui s’offre à la vue, mais pour ressentir les bienfaits du simplement vivant, en abolissant la frontière entre les espaces du dedans et ceux du dehors, entre l’intime et l’extime.
©Eric Antoine
Une forêt est un ensemble de lignes graphiques, de nuances de lumières, de densités et d’éclaircies.
Davantage encore, c’est une communauté de personnages jouant leur participation dans le théâtre de la nature – il y a bien dans Macbeth une forêt qui marche.
La numérisation des existences va son cours policier, effrayant, mais, dans les contre-allées, il y a des éveillés, des plus consciencieux, des plus enragés, qui continuent à prier ou créer à partir du matin du monde.
©Eric Antoine
Etablir les conditions d’une communication fine avec notre environnement naturel, telle est l’ambition d’Eric Antoine, dont les photographies manifestent un profond sentiment de paix, et, quelquefois, d’une étrangeté sans effroi.
Il faut construire des instants parfaits, ou rien.
Ayant intitulé son deuxième livre, Useful lies, peut-être pour ne pas être dupe des sortilèges de l’art – ce qu’il reste d’ego, ce qu’il y a de fabriqué, ce qui enchante en faisant perdre la raison -, le photographe a choisi de placer au sein de ses premières images un petit halo blanc, sorte de trou capable d’aspirer le visible en en montrant à la fois la puissance et la précarité.
©Eric Antoine
Car il y a du paradis ici, mais également une perception très émue de la fragilité de ce qui est.
Les doigts touchent les images en noir et blanc, un peu rugueuses, comme si nous marchions sur un tapis de feuilles sèches à l’automne.
Tout est beau et merveilleux, comme une héraldique médiévale, un serment de fidélité, un dépouillement définitif.
La sensualité du collodion humide alliée à la grâce des modèles, au détail de leur peau, à la façon dont le tissu les touche, est une source de jouvence.
©Eric Antoine
Une porte est ouverte, un corps étendu sur un lit attend d’être aimé, caressé, emporté.
La bouche s’approche, avant de s’en rendre compte que tout est illusion, et que le chemin de l’amour est d’abord une voie spirituelle.
Il y a aussi en ces images une douce surréalité, des mains qui s’avancent dans le noir comme chez Franju, des poitrines nues jouant avec des petites pierres.
La plaque de verre jubile, Eric Antoine est entré en cérémonie.
©Eric Antoine
Analysant avec beaucoup de justesse son esthétique et sa pratique, Pierre Wat, professeur d’histoire de l’art à l’université Panthéon-Sorbonne, posant ses mots avec délicatesse, écrit à propos de sa série Figures : « Dans ces œuvres-là, Eric Antoine dispose des êtres comme il le fait des fleurs, des livres, des vases et des pierres. Avec le même respect pour leur présence physique et sensible dans le monde. Avec la même violence calme dans l’inflexibilité de ses agencements, qui soumet toute chose à la construction tant de fois intériorisée qui le guide dans sa manière de disposer chaque motif pour la photographie. »
Useful lies est la politesse de l’art face aux ravages du politique asservi, un pari sur la beauté, à l’écoute quelquefois de l’Ange du bizarre.
Eric Antoine agence des signes, construit des cathédrales muettes, imagine des rites propitiatoires.
©Eric Antoine
Il y a des monticules de feuilles de papier ancien tenant en équilibre dans la poussière du temps, des oliviers pluricentenaires dont les troncs ouverts sont des porches menant à un autre monde.
Tout parle dans le silence, tout exprime, et tout attend peut-être d’être reconnu intimement pour faire entendre une musique céleste liant le rêve et la réalité, les fantômes et les êtres de chair, la psyché d’un artiste et l’inconscient d’un regardeur.
Eric Antoine, Useful lies, texte de Pierre Wat, design Luc Borho, Hemeria, 2021
©Eric Antoine
Eric Antoine expose :
- jusqu’au 4 décembre à la Galerie Berthet-Aittouares, 29 rue de Seine, Paris
- jusqu’au 22 décembre au Spring X Hôtel de Gallifet, Aix-en-Provence