©Florine Thiebaud
Point de rupture, livre de Florine Thiebaud s’imposant immédiatement sur la table comme un objet graphique de haute densité/qualité, est une série très aboutie, et sans pathos, sur l’exil en Grèce.
Publié par Stockmans Art Books, cet ouvrage composé de portraits, de vues de paysages, de lieux clos et d’objets, témoigne d’une réalité âpre, mais aussi de la force de résilience des personnes en errance cherchant une renaissance.
Il est le fruit de rencontres, d’échanges, de discussions incessantes ayant eu lieu sur l’île de Chios, mais aussi à Leros, Athènes et Œunfyta entre 2017 et 2019.
©Florine Thiebaud
Bourré d’espoir, de mélancolie et de découragement, Point de rupture n’est pas un livre d’historien, de sociologue ou de journaliste, mais d’une artiste sensible à la détresse humaine comme à sa puissance de beauté.
Rendant hommage à ses amis ou frères et sœurs éphémères, Point de rupture comporte un cahier détachable agrafé de nature hybride : y sont montrés des mots, des lettres, des visages, la couverture d’un livre (L’Epidémie, d’Andréas Frangias, récit traduit du grec et présenté par Jacques Lacarrière, Gallimard, 1979), une carte de la mer Egée, des paroles d’exilés, un propos d’Edward Saïd, des dessins d’enfants, l’enjeu étant de ne surtout pas figer la représentation, mais de la construire comme une lente dérive du sens, dans la multiplicité des parcours approchés.
Par les trous d’un tee-shirt noir passent les vagues du grand départ.
©Florine Thiebaud
Il y a des camps de rétention, des barbelés, dont il ne faut pas dénier ou occulter la violence excessive.
Pourtant, dans cette réclusion administrative, il y a des visages, des corps, des gestes, des sourires, que la photographe aime observer.
Florine Thiebaud est attentive à la poétique des singularités, ce qui rend son travail intrinsèquement politique, sans doctrine ou discours automatisé.
Les ailes du fol amour de la liberté ont fondu, tous les hommes s’appellent Icare.
La photographe fixe des attentes, des fragments de corps, des signes gravés.
©Florine Thiebaud
Comment vit-on loin des siens ?
Le téléphone portable tiendra-t-il lui aussi le choc de l’exil ?
Le tapis volant des contes de Shéhérazade a chu sur une terre sèche, parmi les cailloux.
Dieu est là, probablement, mais aussi le paquet de tabac à rouler, les couvertures en laine, et les lits de fer en suspension.
Une petite fille s’endort sur le carrelage frais, la Syrie est bien loin maintenant.
©Florine Thiebaud
Point de rupture est structuré par des effets de réitération (les cadrages, les scènes, les motifs, les inscriptions pariétales), parce que lorsque tout est attente, chaque instant enduré peut être nommé Sisyphe.
Cet ouvrage silencieux, parcouru de lumières douces magnifiant les êtres comme l’ensemble de la création, invite à l’introspection, à la réflexion, à l’engagement peut-être.
Celui d’une main tendue défiant les crocs de l’Histoire.
Florine Thiebaud, Point de rupture, texts Edmond Waya, publisher Bruno Devos, Stockmans Art Books, 2022 – 700 exemplaires
©Florine Thiebaud
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