Sète, une déterritorialisation, par Gabrielle Duplantier, photographe

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©Gabrielle Duplantier

Depuis quinze ans, à l’initiative de l’association CéTàVOIR, la ville de Sète est photographiée par des artistes de grand talent aux écritures particulièrement diverses.

Le portrait photographique de la ville méditerranéenne a été confié pour l’année 2022 à Gabrielle Duplantier, qui s’est attachée à rendre compte des sensations que lui a procurées une « ville éclectique, singulière, piquante », et dont les lumières ont été perçues comme puissantes, aveuglantes, accablantes et vivantes.

©Gabrielle Duplantier

Apparaît dans le regard des habitants rencontrés, souvent de jeunes personnes, une forme d’indocilité, de sauvagerie, mais aussi de solitude fondamentale.

Chez Gabrielle Duplantier les corps occupent l’espace comme s’ils le chorégraphiaient, chaque sujet étant saisi avec ses points d’appui et de déséquilibre.

Nous avons conversé sur la belle expérience de déterritorialisation d’une artiste aimant généralement creuser son sillon dans des lieux très souvent réinterrogés.

©Gabrielle Duplantier

Votre livre Sète #22 est le quinzième de la collection Images Singulières. Comment avez-vous cherché à situer votre travail dans ce vaste ensemble de regards portés sur la ville de Sète ? Cette question s’est-elle posée pour vous ? 

Bien sûr, j’étais consciente de participer à une histoire chargée du passage de tous ces incroyables photographes qui ont réalisé cette résidence depuis quinze ans, et de leur ouvrage à chacun. Pour cela, j’ai décidé de ne pas ouvrir les livres de la collection pour ne pas me décourager, mais aussi éviter d’être influencée, sur quoi faire ou ne pas faire. 

C’était important pour moi de parcourir la ville avec un regard innocent, essayer de trouver mon inspiration propre face à face avec elle.

©Gabrielle Duplantier

Vous aimez fréquenter et travailler sur les mêmes lieux et territoires, le Pays basque, le Portugal, l’Inde. Comment vous êtes-vous emparée de la commande de l’association CéTàVOIR ? Connaissiez-vous Sète ? Quelles représentations en aviez-vous ?

En effet, mes sujets sont des leitmotivs, c’est pourquoi j’adore être envoyée dans d’autres lieux pour m’arracher à mes petites obsessions, même si finalement je les amène avec moi.

Je m’étais rendu à Sète une fois très brièvement pour le festival Images Singulières en 2017, connaissant de réputation la résidence confiée à l’origine à Anders Petersen et cette année-là à Anne Rearick. J’avais observé les rues et les gens : je me rappelle avoir été frappée par leur caractère singulier et piquant, éclectique et d’avoir compris pourquoi chaque année un photographe était invité pour y faire de photos.

Je n’ai fait qu’une seule résidence artistique avant cela, dans les Landes, avec bien moins d’axes possibles.

A Sète, j’ai arpenté la ville pour trouver une voie qui me relie à elle, au travers de ses rues, ses bâtisses déglinguées, sa végétation exotique, sa lumière. Puis, j’ai cherché à faire du portrait.

Le premier jour de marche dans la ville, j’étais tellement absorbée par la vision que je me suis pris les pieds sur un plot et je suis tombée par terre.

©Gabrielle Duplantier

Comment avez-vous travaillé avec la lumière de Sète ? Comment avez-vous pensé les contrastes et votre palette de gris ?

La lumière a été un guide, obligée de la suivre ou de la fuir selon les moments. C’est une lumière très puissante, qui rase, qui éblouit violemment, qui brûle. Les ombres sont vivantes et créent des architectures changeantes sur les murs et dans les rues. Le soleil, le vent, les montées rudes vers les quartiers hauts, le corps est sans arrêt en lutte avec les éléments à Sète. J’ai très vite compris que mon sujet serait par-là.

Dans mon traitement des images, j’ai travaillé les nuances comme de la dentelle en essayant de trouver une douceur dans les différents tons, de l’équilibre dans les extrêmes.

Qu’avez-vous compris intimement de cette ville populaire lors de votre résidence de création ?

La résidence n’est que de quelques semaines, il est difficile de comprendre une ville en si peu de temps mais, dans ce voyage j’ai rencontré des gens d’une grande fantaisie, des adorateurs de leur ville, de sa culture et de son histoire. J’étais là-bas lors du centenaire de la naissance de Georges Brassens, la ville était envahie d’hommages populaires, d’événements, de concerts et de chants improvisés sur les places et les cafés. 

Le lien s’est fait facilement avec les habitants. L’environnement très fort, le port, la mer, les oiseaux, semble faire corps avec eux, c’est beau à voir.

©Gabrielle Duplantier

Vous utilisez l’argentique. Qu’en attendez-vous ? Une économie de l’attention ?

J’y trouve la photographie elle-même.

Il y a une forme de sauvagerie dans le regard de vos personnages. Défient-ils l’étrangère que vous êtes à leurs yeux, ou s’adressent-ils à l’exilée intérieure que vous êtes peut-être ?

Votre formule est très intéressante, je ne sais pas quoi répondre !

Mon rapport au portrait est basé sur le désir d’exprimer un sentiment ambivalent à la vie, très émotionnel. J’ai besoin de me ressentir dans les regards quoi qu’ils expriment.

©Gabrielle Duplantier

Vous êtes sensible à la façon dont les corps occupent l’espace, comme s’il était quelquefois dansé. Votre approche du sujet humain est-il celui d’une chorégraphe inconsciente ?

Oui la mise en scène, la chorégraphie, même inconsciente, des corps dans l’espace, c’est toute ma réflexion et ma recherche en photographie, comment faire exister harmonieusement ou étrangement un personnage dans un décor.

La gestuelle, les postures, ces expressions du corps sont un langage en soi.

Vous créez avec votre livre une composition où l’eau, la pierre, l’air et la chair comme le végétal dialoguent. Comment avez-vous pensé l’ordre des images ?

Pour la série elle-même puis pour le livre, nous avons travaillé avec Gilles Favier, Christian Caujolle, Fabienne Pavia et Dominique Herbert (Le Bec en L’air). 

Parmi la centaine de photos que j’ai gardée à la fin, il a fallu trier, on m’a retiré des belles images qui étaient, semble-t-il, en redondance par rapport aux résidences passées, c’était le risque, la collection doit aussi exister comme un ensemble. L’orientation de la série s’est imposée avec des représentations qui sont différentes des images des auteurs qui m’ont précédée. Elles reflètent la particularité de mon voyage. Gilles a commencé les séquences, et tout est allé très vite pour que chaque photo trouve sa place, en fonction des réactions de chacun.

©Gabrielle Duplantier

La photographie de l’agave, ironique couronne de chef indien pour une tribu invisible, est-elle pour vous le point axial de votre ouvrage ? Symbolise-t-elle par le déploiement de ses feuilles une forme de lecture multiple ?

C’est vrai qu’elle est placée quasiment au milieu du livre comme une pieuvre qui relie l’avant et l’après mais la malice de la maquette ne vient pas vraiment de moi.

En fait, la vraie photo du centre du livre est le portrait de cette jeune femme franco-algérienne, Inesse, au regard noir magnifique, qui se tient, christique, haut devant la mer. C’est l’une de mes images préférées. Une figure importante qui corse un peu le tout.

©Gabrielle Duplantier

Quels sont vos projets artistiques actuels ?

L‘année dernière a été très productive pour moi, celle-ci un peu moins. Je fais de petites choses.

J’ai cependant plusieurs projets d’édition personnelle et collective, dont un prochain livre avec les éditions Lamaindonne.

Je suis surtout repliée chez moi dans le Sud-Ouest : en pleine construction de ma maison, je dois rester proche des travaux. Je reprendrais mes voyages après cela.

Propos recueillis par Fabien Ribery

Gabrielle Duplantier, Sète #22, édition Fabienne Pavia, texte Christian Caujolle, CéTàVOIR/Le Bec en l’air, 2022, 90 pages

https://www.becair.com/

https://www.becair.com/produit/sete22-gabrielle-duplantier/

https://gabrielleduplantier.com/

©Gabrielle Duplantier

https://www.leslibraires.fr/livre/20611471-sete-22-gabrielle-duplantier-gabrielle-duplantier-christian-caujolle-bec-en-l-air

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