Lettres au banquier Horace Finaly, par Marcel Proust, écrivain

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« D’autre part je ne peux pas négliger non plus, en me bousculant trop tôt la menace où je suis d’une attaque (ceci pour toi seul), d’une attaque qui est sans doute la seconde car j’ai des troubles de la parole qui semblent bien signifier que sans m’en rendre compte j’en ai eu une 1er « larvée ». Aussi je tâche surtout de finir mon livre et je ne vois personne. » (Marcel Proust à Horace Finaly, peu après le 14 janvier 1921)

Marcel Proust et Horace Finaly, condisciples au lycée Condorcet (Paris), furent amis toute leur vie, chacun soutenant l’autre à la mesure de ses possibilités.

Homme de grande culture, fin connaisseur de Dante et de Homère, Horace Finaly fut le directeur de la Banque de Paris et des Pays-Bas. Sa position était éminente, et sa fortune solide.

Le cœur de cette correspondance inédite est la relation tragi-comique vécue par Proust avec son secrétaire et ami Henri Rochat, ancien serveur du Ritz – où l’écrivain aime dîner dans une pièce protégée des courants d’air -, qui a vécu presque trois ans chez lui, de 1919 à 1921.

Cherchant à mettre un terme à une situation devenue pénible, et coûteuse, Proust a recours à son ami, grand homme de gauche de la IIIe République, afin qu’il l’engage et l’expédie dans une agence à l’étranger.

Ce sera le Brésil, où cet autre modèle d’Albertine n’améliorera pas sa réputation.

On découvre dans ce volume où les protagonistes se tutoient un Proust vibrant de sensibilité et d’intelligence humaine, mais aussi un homme fatigué, presque constamment malade, reprenant des forces par les vertus à la longue négative de la caféine.

« Tu es un ingrat si tu trouves ma lettre trop longue car pour pouvoir seulement écrire il m’a fallu m’empoisonner de caféine (au moins 3 jours de crise à venir). »

Malgré ses obligations et responsabilités multiples, Horace Finaly se montre extrêmement attentif aux demandes de son ancien camarade de lycée, recevant Céleste Albaret, servante si fidèle de l’écrivain valétudinaire, dès qu’elle le demande – l’affaire de l’exfiltration du problématique Henri Rochat prend beaucoup de temps.   

« J’ignore, écrit Proust fin février 1921 avec une indignation jouée, ce que ton appartement a de si spécial car elle a quelquefois porté des lettres pour moi chez des gens qui me semblaient « bien logés ». Mais elle ne disait qu’avec froideur : « Oui ce n’est pas mal chez M. le duc de Guiche », lequel croit avoir le plus joli hôtel de Paris. Mais « l’appartement de Monsieur Finaly ! » Comme pour rien au monde je ne veux bouger, je te maudis à cause de cela, car depuis qu’elle a vu les splendeurs de la rue de Presbourg, elle se met clandestinement en rapport avec des agences. »

Plus loin (avril 1921), le voici qui ironise : « Ma chère maman que tu as connue, qui t’appréciait tant, et qui serait tellement heureuse si elle pouvait savoir les hauts mérites dont tu as fait la preuve, avait l’habitude de me comparer au fils de Madame [de] Sévigné, laquelle disait de lui : « Il trouve le moyen de dépenser, sans paraître, et de perdre, sans jouer ». Il est encore plus remarquable et encore plus fâcheux de trouver le moyen de prendre froid sans me lever. »

Mais, début mai 1921, Madame Finaly, que l’écrivain n’a vu qu’une fois, meurt. Il en est affligé pour son ami, prodiguant des lettres très émues : « je suis bouleversé par ce que je viens d’apprendre, je n’ai pas l’égoïsme de ne pas penser tout d’abord à toi, à ton désespoir, à la charmante femme que je vis il y a un mois, si belle, à son fils orphelin. »

Dans une lettre datée du 10 février 1922, Proust avoue qu’il a frôlé de très près la mort, et que Céleste, aux petits soins pour l’homme qu’elle affectionne profondément, « est exténuée ».

En annexe, on trouvera des lettres à Horace Finaly du médecin Robert Proust, frère de Marcel, notamment celle du jeudi 3 mars 1932 proposant au banquier d’étudier avec lui la possibilité de publier toute la Recherche du Temps perdu en un seul volume.

Il faudra pour cela attendre le volume Quarto Gallimard de 2400 pages, édité en 1999 par Jean-Yves Tadié.

On peut y lire ceci : « Que celui qui pourrait écrire un tel livre serait heureux, pensais-je, quel labeur devant lui ! Pour en donner une idée, c’est aux arts les plus élevés et les plus différents qu’il faudrait emprunter des comparaisons ; car cet écrivain, qui d’ailleurs pour chaque caractère en ferait apparaître les faces opposées, pour montrer son volume, devrait préparer son livre minutieusement, avec de perpétuels regroupements de forces, comme une offensive, le supporter comme une fatigue, l’accepter comme une règle, le construire comme une église, le suivre comme un régime, le vaincre comme un obstacle, le conquérir comme une amitié, le suralimenter comme un enfant, le créer comme un monde sans laisser de côté ces mystères qui n’ont probablement leur explication que dans d’autres mondes et dont le pressentiment est ce qui nous émeut le plus dans la vie et dans l’art. Et dans ces grands livres-là, il y a des parties qui n’ont eu le temps que d’être esquissées et qui ne seront sans doute jamais finies, à cause de l’ampleur même du plan de l’architecte. Combien de grandes cathédrales restent inachevées !» (Marcel Proust, Le Temps retrouvé).

Marcel Proust, Lettres à Horace Finaly, édition établie, présentée et annotée par Thierry Laget, avant-propos de Jacques Letertre, Gallimard, 2022, 122 pages

https://www.gallimard.fr/Contributeurs/Marcel-Proust

https://www.leslibraires.fr/livre/20517452-lettres-a-horace-finaly-marcel-proust-gallimard

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