Vieillir, un chant andalou, par Lionel Jusseret, photographe

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©Lionel Jusseret

Après le superbe et remarqué Kinderszenen (2020), les éditions Loco publient une nouvelle oeuvre de Lionel Jusseret offrant avec Les Impatientes un regard plein de compassion et d’énergie vitale sur la vieillesse.

Les impatiences sont des variétés de plantes vivaces poussant de manière sauvage dans les forêts équatoriales, ce qui convient bien pour les Impatientes du photographe belge ayant travaillé pendant six mois dans une maison de retraite.

On s’intéresse généralement peu au grand âge, aux mouvements des émotions chez nos aînés, à leur vie affective et intime.

©Lionel Jusseret

Ici, aucun misérabilisme, ni pathos, aucune déploration, ni regard condescendant de la part d’un bien-portant pouvant circuler où il veut, mais un regard vibrant de sensibilité témoignant de liens d’attachement profonds.   

La mémoire est éparpillée façon puzzle, oui peut-être, mais il y a l’intégrité physique, le parcours d’une vie souvent invisibilisée, des combats, des deuils, des courages et des joies.

C’est par la couleur presque sévillane de ses photographies que Lionel Jusseret redonne aux pensionnaires qu’il côtoie l’éclat d’une intimité à nue lui ayant été offerte.

©Lionel Jusseret

Les points chromatiques sont des points de vie quand tout devient gris, monotone, répétitif.

Un plateau repas, une sieste un peu trop longue, l’ennui.

Quelques cadres, quelques objets, et la dignité d’être toujours bien coiffée, même à quatre-vingt-dix ans.

Il y a parfois une dimension doucement fantastique dans les images de l’artiste en immersion, parce que la réalité ne vaut vraiment que dans ses échappées, ses mouvements de fiction, sa réinvention au quotidien.

©Lionel Jusseret

On se regarde, on sait bien qu’il n’y aura plus d’autre maison désormais que ces murs aseptisés, on perd la vue, l’ouïe, la locomotion, la télévision marche à fond, et pourtant quoi de plus riche humainement que de vivre au contact de personnes ayant déjà tant vu, tant connu, tant éprouvé ?

Dans une tasse reposent un dentier et un pendentif, la vieillesse est un manteau de misère dont il faut masquer les trous par coquetterie.

On a peur, on va mourir, on est soulagé, on prie.

©Lionel Jusseret

La guerre pour Céline est une expérience fondamentale quant à la vérité de la nature humaine, mais peut-être aussi, après tout, les maisons de retraite où nos parents sont soignés, protégés, gardés.

Des souliers rouges et des varices.

Un fichu bulgare et des yeux mouillés.

Une dame écrit du bout des doigts en jouant au scrabble le mot « larme ».

Les ombres grandissent, elles sont effrayantes, et gagneront bientôt les yeux définitivement.

©Lionel Jusseret

Des mains se touchent, le temps ne passe plus, ou d’un seul coup, puis il y a une orange sur la table du dîner.

A sa façon profane, Lionel Jusseret invente avec Les Impatientes un geste vaudou, un acte de célébration magique de la vie jusque dans la mort, et de réveil des puissances enfouies.

Des fleurs tombent, des corps se plient, des peaux se flétrissent, alors que l’art imagine un chant de fraternité permettant de traverser ensemble l’ultime frontière.

Tout ira bien, n’aie pas trop peur, donnons-nous la main.

Lionel Jusseret, Les Impatientes, direction éditoriale Eric Cez, texte Audrey Dubail et Lionel Jusseret, graphisme Studio Dirk, Editions Loco, 2022

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Editions Loco

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