
« Il nous faut de plus grands déserts – les villes brûlées comme le meilleur foin mâché par le pétrole, l’animal la main fossilisés rendus à la magie dans les grottes, à toute cette pénombre – / Il nous faut de plus grands déserts pour que nous marchions sans avancer, que nous courions à l’endroit à l’envers / IL nous faut de plus grands déserts – que nous criions à nous arracher de nous, pour que la danse revienne / Il nous faut de plus grands déserts où manger l’animal où être mangé par l’animal – dans un ruban de chair, oubliant le début comme la fin et surtout le milieu / Il nous faut de plus grands déserts »
Philip K. Dick (1928/1982).
J. G. Ballard (1930/2009).
Corman McCarthy (1933/…).
David Cronenberg (1943/…).
Sébastien Hoët (610 av J.-C./2132)
Comme les solitaires de Port Royal, Il faut entrer au désert, arracher en soi les derniers oripeaux de l’orgueil, devenir tremblement, colère, feu.
Comme eux, mais en plus radical encore, en plus fou, en plus déterminé.
Quarantième titre – rugissant dans le silence des infinis espaces cérébelleux – des éditions brestoises Les Hauts-Fonds, De plus grands déserts est un recueil du Lillois Sébastien Hoët, dont on peut se demander avec son ami, l’explosif Victor Martinez, s’il n’écrit pas de la poésie posthumaine.
Parce qu’en son chaosmos tout a déjà brûlé, et qu’il s’agit d’inventer de nouvelles entités, d’autres formes, une altérité de vie nue.
Nous, devenus aigles sans serres, errons.
Il faut recommencer à zéro, et même à bien moins que zéro.
« La nuit je me redeviens je me reforme. Je reforme l’animal tombé avec moi dans le puits. Je le reforme passé à travers la vitre du château, je le reforme ma-peau, je le reforme moi quand il est passé à travers moi, je le reforme dans le feuillage des meubles de la cheminée debout l’argent des tables, je le reforme dans notre parfait couinement, la chute où nous avons volé vers-nous, je le reforme sans mes parents, je le reforme dans la ruelle où ils sont tombés à côté des poubelles d’une cuiller et d’un jeu de morceau de papier au milieu des perles (leur avancement d’océan, la bouche salée de ma mère), je le reforme quand je-remonte-en-moi-quand-il-me-complète, je le reforme quand nous nous envolons. »
Qui dit je ?
Qui peut avoir cette prétention ?
Qui peut avoir la force de se coaguler à ce point ?
« Je n’ai pas de nom quand je me reforme. » / « l’homme est taré je dois le réinventer, je dois le protéger, il boira mon lait de nuit boira ma lumière ancienne »
Apprendre à tomber sans chuter.
Devenir l’hyperpluie.
L’ennemi guette le nouvel enfant hybride, c’est une nouvelle fois le massacre des innocents androïdes.
La forme essaie de durer, de persévérer dans son être.
Bloom n’est plus, vive Bob le blob, qui mange ses pansements, ce qui s’appelle prendre son autonomie.
Tête dans le trou de la grosse dame, naissance morveuse du grumeau entre les guenilles sanglantes.
« une main gantée / énervée / qui essaie des torsions / et // mord au poignet »
Maintenant, il faut faire le tour de l’île, nager debout.
Et tracer, faire la route, entre les décombres, un enfant dans le dos.
« Nous voyions les hommes – ils repousseraient se redresseraient se rapporteraient au ciel eux aussi ils étaient les plantes les plantes votives les murs rabattus ils étaient les mains les poings la destruction des prières et l’action l’existence rassemblée – »
Etre la proie du chien de la posthistoire.
Etre caillou pour lui déchirer l’estomac.
Etre lanière de viande vivante claquant comme un fouet de BDSM.
Dieu est là, dans le jaillissement du sang.
Il ne faut plus différer, avancer dans le monde blanc.
Ne surtout pas se reformer-homme, ce serait trop bête.
« Je me rappelle un chalet dans la neige. Une grande bâtisse de rondins à peine équarris comme renversés d’une forêt par un mauvais vent, nous nous réchauffions devant un feu dans l’odeur de la sève – un miel bouilli. Et ton visage sur le drap juste perlé, tes yeux cherchant au-dessus de ma tête le coin où cacher, presser ce que je révélais de toi, te forçant comme un chien. Nous saturions le blanc, nous l’échauffions, nous le cachions de lui, il blanchissait grâce à nous. Autour. »
Serait-on sauvés puisque la catastrophe a déjà eu lieu.
On ne peut pas lire Sébastien Hoët, on ne peut que le deviner, le humer, le passer au tamis de ses propres errances.

Sébastien Hoët, De plus grands déserts, Les Hauts-Fonds (Brest), 2022, 152 pages
Merci pour cette lecture pleine de souffle ! Je suis touché de ce que vous percevez dans, ou à travers, ce que j’ai écrit dans ce recueil – qui m’importe.
Sébastien Hoët
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