
Extrait de Kyunghee Lee, Des oiseaux (Atelier EXB, 2023) © Kyunghee Lee
Ce sont des oiseaux nervaliens, d’oblongs soleils noirs de mélancolie de peu de poids.
Ils envahissent la page, s’insinuent partout, comme une tourmente psychique.
Dans un ciel passé au fusain de l’égarement, ce sont des pépites de carbone tournoyant comme des prédateurs.
Le flou leur va bien, qui indique une menace indistincte, une pesée intime, un picotement incessant de l’âme.

Extrait de Kyunghee Lee, Des oiseaux (Atelier EXB, 2023) © Kyunghee Lee
Quatorzième titre de la collection Des Oiseaux, publié par Atelier EXB, l’ouvrage de la sud-coréenne Kyunghee Lee donne le sentiment des prémices d’une apocalypse.
Tout y est enténébré, quasiment irrespirable.
Ce livre beau, entêtant, déroutant, angoissant, comme les grandes œuvres des débuts de la musique sérielle, est le territoire des corbeaux.
On songe bien sûr à Edgar Poe, à son poème The Raven, et au mot nevermore dont son narrateur suppose qu’il est le seul vocable connu par les corbeaux.

Extrait de Kyunghee Lee, Des oiseaux (Atelier EXB, 2023) © Kyunghee Lee
Nous sommes dans une forêt située non loin de Busan, d’où la photographe est originaire, mais plus sûrement encore dans quelque région de Jugement dernier.
Le froid semble venir de Sibérie, comme ces sombres volatiles ayant migré en Corée pour se nourrir.
L’artiste observe la danse étrange de ces escadrons de terreur.
Certains se posent sur la neige, il ne faut pas déranger leur mystérieux commerce, ils deviendraient probablement fous de fureur.
Ce grand rassemblement de corbeaux procède d’une cérémonie ancienne, secrète, menant à l’effarement de l’œil.
C’est un peuple ayant ses codes, ses lois, ses cruautés peut-être.

Extrait de Kyunghee Lee, Des oiseaux (Atelier EXB, 2023) © Kyunghee Lee
Nous contemplons des intelligences ailées, une insondable énigme.
Cachée par les bambous, la photographe se fait des plus discrètes, consciente du privilège et des dangers du spectacle.
Il n’y a pas d’humains, uniquement quelques lumières lointaines, une électricité, les bipèdes sont dispensables, qui parmi ces noirs chorégraphes les regrettera ?
Kyunghee Lee pratique la photographie comme on se pose des questions métaphysiques.
Son volume, dont les images commencent par des amorces de noir, comme on sort du tombeau, est un concentré d’énergie plutonienne, une façon d’affronter des démons intérieurs.
« Vers 17h30, confie-t-elle, lorsque le soleil se couche, vous voyez des volées de corbeaux venir du lointain, couvrant tout le ciel, plingeant et tourbillonnant presque comme une forme liquide. L’air est rempli de leur cri croassant, dominateur et perçant, excluant tout autre son. »
Nous entrons alors dans les royaumes du fantastique shakespearien.

Kyunghee Lee, Des Oiseaux, texte (français/anglais) Guilhem Lesaffre, Atelier EXB, 2023, 96 pages
https://exb.fr/en/home/582-des-oiseaux-kyunghee-lee.html
Expositions : Landskrona Musuem/Foto, Suède, du 13 mai au 27 août 2023 ; Breda Kerk/Foto, Pays-Bas, du 15 septembre au 3 décembre 2023
