
« Bois. Tu devras sous la terre / dormir plus que ton content / Sans compagne et sans confrère, / camarade ou confident. / Il est un profond secret / qu’il ne faut dire aux profanes : / La tulipe qui se fane / ne refleurira jamais. »
Astronome, mathématicien, philosophe, Omar Khayyâm (1048-1131), dont on n’est pas certain qu’il soit l’auteur de l’intégralité des quatrains « de libre pensée » qu’on lui attribue souvent, est le nom générique de tous les auteurs célébrant l’instant, sa puissance et sa fugacité.
Pour cela, le vin est un formidable viatique, que les vers ne cessent de convoquer.
Traduit par Gibert Lazard en vers, dans le respect de la rythmique propre du poète persan, les quatrains de Khayyâm sont des élégies déchirantes recommandant d’apprécier au suprême le moment présent.
« Aux côtés d’idoles sveltes / et plus fraîches que des roses, / Que nos mains toujours s’arrêtent / sur la coupe et sur les roses, / Avant que le vent fatal / du même affront n’injurie / Le tissu de notre vie / et la robe de ces roses. »
Face à l’indifférence du Créateur, les plaisirs menant à l’extase seront recherchés.
Tel est le sens même de notre incarnation : accéder, en bonne compagnie et sans illusion, à l’éternité dans la saveur du fugace.
« Buvons car le Ciel avide / de ta perte et de la mienne / Nourrit un dessein perfide / contre ta vie et la mienne. / Parmi la jeune verdure / dégustons le vin ardent : / L’herbe poussera longtemps / sur tes cendres et les miennes. »
L’amant passionné est devenu cendres, les belles boucles ont fané.
La bien-aimée s’appelle Néant.
« Au, que de siècles sans nous / Le monde continuera, / Sans nul souvenir de nous / ni vestige de nos pas ! / Avant notre venue rien / ne manquait à l’univers ; / Après notre heure dernière / rien non plus ne manquera. »
La vie est absurde, mon amour, viens, buvons ensemble sous la grâce du cyprès.
« Jamais au mot de l’Enigme / tu ne parviendras, mon cœur, / Ni aux finesses sublimes / de no très subtils docteurs. / Fais-toi du vin ici-bas / un paradis personnel / Avant qu’en celui du ciel / tu entres… ou n’entres pas ! »

Omar Khayyâm, Cent un quatrains de libre pensée (Robâïât), édition bilingue traduit du persan et présenté par Gilbert Lazard, Connaissance de l’Orient, Gallimard, 2023, 102 pages
https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Connaissance-de-l-Orient-format-poche/persane#
