Madrid à la volée, par Bernard Plossu, photographe

©Bernard Plossu

Comme la phrase de Jack Kerouac ou celle de Marcel Proust, la photographie de Bernard Plossu me donne immédiatement envie de vivre mieux, plus profondément, plus amplement.

Son art m’est indispensable, c’est un mystère de rythmes, d’angles de vision, de vivacité.

Avec le temps, et l’activité critique (admirative, je refuse de m’embourber dans le négatif) incessante, je rejette de plus en plus de livres (parfois plusieurs par jour), mais Madrid, installé verticalement sur l’un de mes bureaux, s’impose – impeccable, magistral – avec évidence.

©Bernard Plossu

D’abord, c’est la célébration de Françoise (para sempre), et des amis, portraits des géniaux Luis Baylon et Max Pam, de la si belle Victoria Abril, et de quelques autres fidèlement aimés au cours des années.

Possédant sa loi propre, la mort frappe, cruelle, impitoyable, mais il y a la lumière, les gris qui sont paradoxalement des paradis de repos et de clarté, les formes du vivant, bâtiments, visages, surfaces diverses.

Comme si tout était frappé par le sceau de la disparition tout en étant absolument sauvé.  

©Bernard Plossu

Il n’est pas impossible que Bernard Plossu photographie depuis cette zone du cerveau se confondant avec les limbes, dans un moment de disparition de l’ego l’unissant avec la substance du monde.

Qui est là ? Qui prend la photo ? Pourquoi tel instant plutôt que tel autre ?

Qu’ont vu les images que n’a pas vu le photographe ?

Pourquoi l’ont-elles choisi lui, et pas un autre ?

©Bernard Plossu

Chaque page – et diptyque – demanderait une analyse précise : zones d’ombres, dialogues entre les êtres et choses, sous-conversations, cadrage, signes, traces, géopétique des lieux.

Abstraction d’une fenêtre sur un édifice en béton.

Un vieil homme en chemise blanche, stores de son appartement fermés, arrose des plantes sur son balcon.

©Bernard Plossu

Bernard Plossu est en-haut, en bas, de côté, de biais, là où personne ne l’attend, et déjà ailleurs.    

Une femme marche en tongs sur le trottoir, devant une construction recouverte d’une bâche, alors qu’au coin de la rue un jeune homme, appuyé sur un poteau de signalisation, attend le moment de traverser la chaussée : sensualité et étrangeté, quotidienneté et placement des corps dans l’espace entrant en résonnance inconsciente.

Des sacs de graviers, une grille ancienne en fer forgé évoquant la cellule d’un torturé, des petites gens, et les symboles de la puissance, colonnades, statues, pierres taillées.

©Bernard Plossu

Si chaque instant est solennel, sacralisé par la photographie, il n’en comporte pas moins sa part de fantaisie, d’absurde, de drôlerie.

Avec malice, Bernard Plossu remarque des slogans, des phrases, des postures, des lignes courbes qui font sourire.

Des virgules visuelles, des points d’exclamation ou d’interrogation, des glyphes de ponctuation, toute une grammaire d’espièglerie découpant l’espace.

©Bernard Plossu

Attention portée au caillou dans la chaussure, au détail qui rompt l’effort d’ordonnancement, au spectacle de la condition humaine.

Il y a chez le photographe, que la jungle mexicaine initia, un animisme intégral, une façon de saisir le panier, le balai ou le climatiseur comme des entités vivantes.

Les images ne sont pas muettes mais taciturnes : tout a parlé, tout parle, tout parlera, c’est une question de vibration de silence intérieur.

©Bernard Plossu

Il n’est pas possible d’enfermer l’artiste dans telle ou telle esthétique, tant ici le déplacement est permanent.

Depuis la solitude qui l’habite, Bernard Plossu crée un immense sentiment de liberté, tout apparaissant dans son regard comme neuf, drôle et cérémonieux.

C’est le sublime de l’ordinaire, l’élégance de l’existant, l’énigme de chaque présence.

Rien de dégradant, de misérabiliste ou de vil chez le photographe, aucun appétit pour  le malheur des autres, mais une éthique de la vision : rechercher la noblesse, exposer le mystère, s’enchanter d’une fiction permanente – façon polar métaphysique ou errances antonioniennes – appelée vie.

Bernard Plossu, Madrid, texte Rafael Doctor Roncero, design graphique Underbau, La Fabrica / PhotoESPANA / Comunidad de Madrid, 2023

©Bernard Plossu

https://tienda.lafabrica.com/fotografia/9100-bernard-plossu-madrid-9788418934896.html

Exposition du 1er juin 2023 au 17 septembre 2023, El Aguila, Calle de Ramirez de Prado, 3 (Madrid) – commissariat Rafael Doctor Roncero

https://www.comunidad.madrid/en/actividades/2023/exposicion-photoespana-madrid-bernard-plossu

Laisser un commentaire