La pureté Thoreau, par Ralph Waldo Emerson, philosophe

« Il n’a suivi aucune formation professionnelle, il ne s’est jamais marié, il vivait seul, il n’allait jamais à l’église, il ne votait jamais, il a refusé de payer une taxe à l’Etat [on l’incarcéra], il ne mangeait pas de viande, ne buvait pas de vin, n’a jamais connu l’usage du tabac et, bien que naturaliste, n’utilisait ni piège ni fusil. Il a fait le choix, sage sans doute dans son cas, d’être le célibataire de la pensée et de la Nature. Il n’avait aucun talent pour la richesse et savait comment être pauvre dans la moindre trace de misère ou d’inélégance. »

Considéré comme un père spirituel par Henry David Thoreau, Emerson (1803-1882) prononça l’éloge funèbre de son ami décédé prématurément en 1862 à l’âge de quarante-quatre ans – il fut victime de la tuberculose.

Leur amitié fut intense, mais non dénuée d’ambiguïté, le philosophe américain, auteur notamment de l’essai La Nature et fervent partisan du courant transcendantaliste (l’expérience intérieure, l’intuition, plutôt que le plat matérialisme), reprochant à Thoreau son trop grand rigorisme.

La nature américaine est encore un livre ouvert, reflet du génie divin, il faut en prendre conscience.

Les éditions Rivages publient aujourd’hui dans la colection Petite Bibliothèque le texte d’Emerson, excellente façon de mieux connaître un disciple qui construisit en 1845 une cabane sur un terrain qu’il lui avait prêté au bord de l’étang de Walden, situé à Concord dans le Massachusetts – le livre qui rendit compte de son expérience solitaire de deux ans est fameux.

« Il était un protestant-né. Il a refusé d’abandonner sa vaste ambition de connaissance et d’action pour l’étroitesse d’une carrière professionnelle, répondant à une vocation beaucoup plus générale, l’art de bien vivre. S’il dédaignait ou bravait les opinions d’autrui, ce n’était que pour mieux concilier sa pratique et ses principes. Jamais oisif ni enclin aux plaisirs, il préférait, quand il avait besoin d’argent, le gagner par quelque travail manuel qui lui plaisait, comme construire un canot ou une clôture, planter, greffer, arpenter ou tout autre travail de courte durée plutôt que des engagements à long terme. (…) Il était protestant à l’outrance. »

Thoreau est décrit comme un être d’une très grande intégrité, porteur d’une sorte de pureté intimidante, fascinante ou irritante pour qui le croisait, « comme s’il ne se sentait exister que dans l’opposition ».

Le besoin de vérité l’étreignait, le compromis n’était pas son credo.

Recherchant l’énergie de la nature, cet idéaliste partisan de l’abolition de l’esclavage, des droits de douane, « et presque de l’abolition du gouvernement », était selon Emerson un esprit tranchant doublé d’une « intuition sans cesse en éveil ».

« Il était l’avocat, poursuit le philosophe, des plantes indigènes et reconnaissait préférer les mauvaises herbes aux plantes importées, comme il préférait l’Indien à l’homme civilisé. »

Doué d’un grand sens de l’observation – les plantes, les traces animales -, il lui fallait marcher pour parvenir à véritablement écrire, l’intellectualisme ne faisant pas partie de son idiosyncrasie.

Critique, Emerson n’en construit pas moins la légende de son ami présenté comme magnanime, et d’essence presque chamanique : « Les serpents s’enroulaient autour de sa jambe, les poissons nageaient dans sa main et il les sortait de l’eau, il tirait la marmotte de son terrier par la queue et protégeait les renards contre les chasseurs. »

Thoreau avait, ce qui est rare, le sentiment poétique de l’existence, et rien ne lui importait davantage que l’honnêteté, l’instinct ainsi que la célébration permanente de la beauté et des bienfaits de la nature.

Emerson rappelle cette parole profonde de cet homme de vertu : « Je demande à être fondu. Tout ce qu’on peut demander aux métaux est d’être tendre au feu qui les fond. Ils ne sont tendres à rien d’autre. »

Ralph Waldo Emerson, Thoreau, traduction de l’anglais (Etats-Unis) et préface de Stéphane Thomas, Rivages poche, Petite Bibliothèque, 2022, 96 pages

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