Aux vents de la Caspienne, par Vassili Golovanov, écrivain

Va je ne sais où, rapporte je ne sais quoi…

Il y a des livres qu’on ne lâche pas, parce que leur langue, parce que leur sujet, parce que leur singularité.

Ainsi, Le livre de la Caspienne, voyage en Azerbaïdjan maritime composé par Vassili Golovanov, troisième ouvrage de l’auteur russe aux éditions Verdier – après Eloge des voyages insensés (2008) et Espace et labyrinthe (2012) – traduit cette fois, fort bien, par Catherine Perrel. 

Le ton est direct, entraînant, c’est celui d’un journal à ciel ouvert.

On pense quelquefois à Diderot (Jacques le fataliste) pour la liberté d’opinion, pour le goût des mots, pour cette façon de pénétrer in medias res dans l’âpre et surprenante réalité.  

Sortir, partir, quitter sa ville, ses habitudes, retrouver le grand dehors.

Partir pour guérir, se décaler, et tenter de comprendre quelque chose à la folie des hommes.

Les préalables ? « Entrer dans le monde sans illusions. Comprendre sans peur ce qui se passe vraiment. Construire mon propre jugement. »

Que cherche à 49 ans Vassili Golovanov en allant vers la Caspienne ? Très certainement une cristallisation, un rassemblement, des retrouvailles intenses avec un espace perçu comme une unité.

Comportant de nombreuses digressions – sur la perte de foi en la justice et la vérité en Russie, sur le nouvel aéroport de Moscou, sur la globalisation, sur la robotisation des pratiques et des comportements, sur les zoroastriens, sur la guerre avec l’Arménie dans le Haut-Karabagh, sur la corruption… -, Le livre de la Caspienne part à la rencontre de la géopolitique (l’importance des puits, les réfugiés), d’une culture autre (musulmane, issue des steppes), des grands espaces (les pétroglyphes de Qobustan, raison officielle du voyage de Golovanov ayant accepté la commande d’un article pour la revue Bakou), et, bien entendu, des habitants (le chauffeur avec qui il devient ami, une tisseuse, un guide, une femme sublime).

C’est aussi un livre peuplé de pierres érotiques et de signes relevant de l’intermonde, la présence d’une jeune fille croisée dans l’avion paraissant aussi fragile que magnétique, des portes s’ouvrant seules comme par magie, des Tsiganes prophétiques.  

Au commencement était le verbe, ou la violence ou l’étrange ?

« Je sentis ses mains légères et fines se coller contre mes paumes, puis je la regardai dans les yeux. Une incroyable tension se mit à vibrer dans le point de sa pupille puis ses pupilles s’élargirent, le noir envahit tout l’iris et se déversa sur moi. Ma vue se troubla. Et l’instant d’après, de petits brins de paille me transpercèrent tout le corps et, la sentant sous moi, je me mis soudain à mugir, à m’agiter comme un taureau qui pourfend une vache, voyant du coin de mon œil injecté de sang ses cheveux épars sur la paille et son cou brillant de sueur. » 

On prend la route, tout est possible, et d’abord l’émerveillement, en ouvrant grand les sens, en somnolant, en écoutant le fabuleux pianiste de jazz Vaqif Mustafazade.

« D’où que l’on regarde, de Londres, de Moscou ou de Pékin, la Caspienne est une sorte de trou dans l’espace-temps »

Le livre de la Caspienne nous enseigne, relance notre goût de l’aventure, accompagne notre mélancolie.

C’est beaucoup nous ?

Vassili Golovanov, Le livre de la Caspienne, Azerbaïdjan, traduit du russe par Catherine Perrel, éditions Verdier, 2023, 252 pages

https://editions-verdier.fr/auteur/vassili-golovanov/

Laisser un commentaire