La sobriété débordante du vivant, par Gilles Aillaud, peintre et lithographe

Genette, lithographie extraite du tome 2 de l’Encyclopédie de tous les animaux y compris les minéraux, Atelier Franck Bordas imprimeur éditeur,1989  © ADAGP,  Paris, 2023

« Gilles Aillaud parvient à cette étrange « sagesse des images », si l’on entend cette sagesse comme une clairvoyance des choses telles qu’elles se présentent, c’est-à-dire qu’il est possible d’en évoquer le tourbillon par la tranquillité de ses plans, et considérer ceux-ci gros de toutes les agitations et désordres qui ont été et seront encore leur vie. » (Nicolas Pesquès)

L’un des critères essentiels est celui de l’île déserte.

Les chevaux de Spyros, lithographie,Atelier Franck Bordas imprimeur éditeur, 1985 © ADAGP,  Paris, 2023

En effet, quels livres – plusieurs dizaines, voyons large – emporteriez-vous si vous deviez vivre pour toujours isolé, en ne comptant que sur vos propres ressources et legs ?

Le superbe Le serval et la tortue, catalogue raisonné de l’œuvre gravé de Gilles Aillaud, ayant bénéficié de l’expertise de Ianna Andréadis, me semble pouvoir faire partie de notre bagage, tant le monde animal, à la disparition duquel nous assistons/participons quotidiennement, nous y est redonné avec précision, poésie, grâce.

Le sauvage est là, inentamé, drôle, mystérieux.

Il est parfois encagé, ou maltraité, mais la feuille le libère, l’estampage permettant à la fois l’a(e)ncrage et l’envol.

Tortue, lithographies,1978, Atelier Franck Bordas imprimeur éditeur, 1978 © ADAGP,  Paris, 2023 

Jean-Christophe Bailly connaît bien le travail de Gilles Aillaud, plusieurs écrits en attestent, prolongés aujourd’hui par le texte, placé en préface, intitulé A Better thing, l’expérience lithographique de Gilles Aillaud, le philosophe soulignant l’expérience de « l’effleurement » dans la pratique de « l’ardoise magique » lithographique, et même de « la déposition », comme une façon d’accompagner naturellement, à la façon d’une « extension », « le geste du dessin ».  

Rappelant l’amitié qui liait le peintre à l’imprimeur et éditeur d’art Franck Bordas – voir notamment leur collaboration pour le tome II de l’Encyclopédie de tous les animaux y compris les minéraux réalisé au Kenya, in situ donc, avec une presse à bois portative -, Jean-Christophe Bailly souligne chez Aillaud lithographe l’usage quasi unique du noir et blanc.

Le dessinateur, qui préfère la « loyauté » à la virtuosité égotique, restitue en quelques traits la présence animale, son énigme, sa radicale étrangeté.

Les animaux passent dans notre monde, mais ils sont avant tout ailleurs, dans un incommensurable.

Serval, lithographie, Atelier Franck Bordas imprimeur, Sageco éditeur, 1984 © ADAGP,  Paris, 2023

Le crayon approche les formes, la carapace d’une tortue, le profil aigu d’un serval aux aguets.

Voici un okapi, un phoque, un lion emprisonné, un serpent, un iguane, des pingouins, toute l’inventivité incroyable de la nature naturante.

Mais que cherche Gilles Aillaud ? Peut-être à s’approcher de la différence absolue en établissant un répertoire de formes valant esprit.

Chaque dessin crée autour de lui une zone de silence, chaque signe rapide ou longuement étudié.

© Gilles Aillaud

A la surface du marigot, les crocodiles ne sont que plaques rugueuses dérivant comme des continents engloutis.

De la paille et des grillages.

Des chaînes et des carrelages.

Des aquariums et des vivariums.

Saisis dans leur espace premier, les chevaux de Skyros incarnent la liberté.

© Gilles Aillaud

Devant une pierre lithographique immense, dans l’atelier de Franck Bordas, Gilles Aillaud pense à la suite de sa Fosse aux singes, ensemble d’animalcules bondissant sur une soucoupe volante géante.

Les animaux, y compris les huîtres et les cèdres, ce sont des formes, mais aussi des attitudes, des comportements, une façon de se mouvoir, de regarder, de grandir, de se développer.

Difficile d’échapper au réflexe d’anthropomorphisme, mais il faut s’en garder, c’est une position psychologique de propriétaire.

Ou alors, oui, nous ne sommes pas si différents, la relation est possible, jusqu’à cette copulation générale que décrit si bien Jean Giono dans sa nouvelle Pan.

L’autre, c’est nous, l’étrange, c’est nous, l’étranger, c’est nous, il y a rapports parce qu’il n’y a pas identité.

Fennec, zèbre, dromadaire, caméléon, vipère à cornes, hamadryas, girafe, vautour fauve, hérisson, chouette, hippotrague, rhinocéros, scarabée, âne, mouche, axolotl, archéoptéryx, tamanoir, hipparion sont sauvés, le naturaliste chez le peintre se doublant d’un artiste ayant travaillé pour le théâtre avec Klaus Michael Grüber, fasciné par le spectacle du vivant – y compris la tauromachie – et la façon dont la mise en scène, voire la comédie, s’impose à chacun.

© Gilles Aillaud

Chaque planche peut être regardée longuement, il y a de l’inépuisable dans l’épure.

Dans ses réflexions sur le peintre lié au courant de la Figuration narrative, Chères images, publié à L’Atelier contemporain, Nicolas Pesquès écrit : « Gilles Aillaud est un peintre qui écrit. On pourrait autant dire, ce qui est plus rare, un écrivain qui peint. Mais il écrit avant tout la pensée de ce qu’il peint – et à peu près rien sur la technicité, la tambouille, la sienne ou celle des autres. Ses images et son vocabulaire ont la même élégante précision, souple et colorée qui sait épouser la sobriété débordante de ce qu’il voit. »

Tout n’est pas dit, et des expositions commencent, qui seront des événements.

Gilles Aillaud, Le serval et la tortue, catalogue raisonné de l’œuvre gravé, texte de Jean-Christophe Bailly, édition établie par Ianna Andréadis, Métamorphoses, 2023

https://librairiemetamorphoses.com/

Commander le livre : https://www.parislibrairies.fr/livre/9782493849021-gilles-aillaud-le-serval-et-la-tortue-catalogue-raisonne-de-l-oeuvre-grave-ianna-andreadis-jean-christophe-bailly/

Une rencontre, avec Ianna Andréadis, Jean-Christophe Bailly et Franck Bordas , présentation et signature du livre, est prévue à la librairie du Centre Pompidou, le samedi 14 octobre, de 18h – 20h 
 
– Dans le forum du Centre Pompidou, devant la librairie, Ianna Andréadis, artiste et auteur du catalogue raisonné, animera en continu, un atelier sur le thème des animaux en résonance avec l’exposition Gilles Aillaud, occasion d’un événement en famille  » la création en famille », week-end du 4-5 novembre 2023 –
 
Vernissage de l’exposition Gilles Aillaud, le serval et la tortue, l’intégralité de l’œuvre gravé,  le 28 septembre, exposition du 28 septembre au 18 novembre 2023, Librairie Galerie Métamorphoses , 17 rue Jacob, 75006 Paris 

Livre publié à l’occasion de l’exposition éponyme à la librairie-galerie Métamorphoses (Paris), du 28 septembre au 18 novembre 2023

Nicolas Pesquès, Chères images, Peinture et écriture chez Gilles Aillaud, L’Atelier contemporain, 2023, 144 pages

https://www.editionslateliercontemporain.net/mot/nicolas-pesques-212

Exposition Gilles Aillaud animal politique, Centre Georges Pompidou (Paris), du 4 octobre 2023 au 26 février 2024

https://www.centrepompidou.fr/fr/programme/expositions#586

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