Femme, Vie, Liberté, Poésie, par le peuple iranien, et Forough Farrokhzâd, écrivain

« Et maintenant qui / Qui pourra se lever et danser / Verser sa chevelure d’enfant / Dans l’eau vive / Qui piétinera la pomme / Après avoir pu la saisir et la sentir ? » (Forough Farrokhzâd)

En Iran, depuis la mort à Téhéran de Mahsa Amini, le 16 septembre 2023, à la suite de coups portés sur le crâne pendant sa garde à vue trois jours plus tôt pour un voile « mal porté », le courage, l’inventivité et la pugnacité des femmes pour la défense de leur liberté est remarquable.

Une injustice de trop pour les Iraniens qui se mettent alors à manifester, filmer leurs actes de bravoure, photographier leur indignation. 

Internet, Whatsapp et Instagram seront bloqués par le régime des mollahs, mais sans véritable succès : on n’arrête pas si facilement un feu de colère.

Les images elles aussi sont des armes efficaces, qui se propagent sur toute la planète et font comprendre à tous la détermination d’un peuple- les adolescentes et leurs sœurs plus âgées sont en première ligne, les syndicats de travailleurs appellent aussi à manifester.  

Un livre – peu cher, c’est rare (10 euros) – rend compte aujourd’hui de son soulèvement.

Les photographies et témoignages – collectées par Ghazal Golshiri, fille de parents intellectuels iraniens, et Marie Sumalla, rédactrice photo au quotidien Le Monde – sont réalisées au téléphone portable dans tout le pays.

La police frappe, réprime, torture, chacun risque sa vie.

Il y a du sang sur le bitume, des martyrs portés dans les bras par leurs frères et sœurs de combat. 

Mahsa Amini était de Saquez, dans le Kurdistan iranien. Lors de son inhumation, des femmes retirent leurs foulards et crient : « A bas le dictateur ! »

Son oncle écrit sur sa tombe cette épitaphe aussitôt reprise par tous : « Chère Jina, tu ne meurs pas, ton nom devient un symbole. »

Gaz lacrymogènes, balles réelles, saloperie du pouvoir en place.

« Le foulard est devenu, analyse Ghazal Goldshiri, le symbole de toutes les discriminations et de toutes les injustices que la République islamique d’Iran fait subir aux Iraniens, hommes et femmes, depuis 1979. »

Des corps et des cris contre des armes.

Des pierres contre des véhicules blindés.

Des feux de poubelles contre des voltigeurs.

Des pancartes et du silence de recueillement contre des matraques.

Des étudiants imaginant des performances contre des forces de sécurité enragées.

On écrit sur les murs.

Les corps tombent, plus de cinq cents du côté des manifestants.

Des blessures, des canons à eau, et partout des téléphones qui se dressent pour filmer l’ignominie des agents en civile tabassant les camarades.

Perte de connaissance, affolement, civières, urgences.

Traumatismes, membres mutilés, doigts, mains, yeux.

Guerre des nerfs.

Condamnations.

Inculpations.

Disparitions.

Peur.

Visages sans voile.

Audaces.

Joie.

Après sa mort, la famille de Mahsa Amini poste sur les réseaux une vidéo où la jeune fille danse.

Les images sont les dernières du livre, elles disent la force de propagation de la vie, et la liberté du corps.

Mais, l’Iran, c’est aussi la poésie, notamment celle, merveilleuse, de Forough Farrokhzâd, qui disparut brutalement en 1967 à l’âge de 32 ans dans un accident de voiture, et que publient les éditions genevoises Héros-Limite.

« Comment peut-on se réfugier dans les sourates des prophètes déchus ? / Nous nous retrouverons comme des morts d’il y a mille ans / Et le soleil jugera de la pourriture de nos cadavres »

Après Une autre naissance (2022) paraît Croyons à l’aube froide, où l’on retrouve la frappe d’un lyrisme où alternent le souffle de l’espoir et la brutalité des rêves perdus.

« Me voilà, moi / Une femme seule / Au seuil d’une saison froide / Découvrant l’existence d’une terre souillée / Et le désespoir simple et désolant du ciel / Et ces mains en ciment, impuissantes »

Symbole de l’indépendance des femmes dans une société patriarcale, Forough Farrokhzâd imagine dans son long poème liminaire – le recueil, inachevé, parut une première fois de manière posthume en 1974 -, un personnage isolé dans un monde corrompu.

« Ces gens qui t’embrassent / Tressant ta corde de pendu dans leur for intérieur »

Heureusement, si l’amour disparaît, c’est qu’il a pu exister, il faut se réjouir.

« Je suis nue, nue, nue / Je suis nue comme les silences entre les mots d’amour / Et toutes mes blessures sont des blessures d’amour / D’amour, d’amour, d’amour / Moi j’ai préservé cette île égarée / De la révolte des flots / De l’éruption du volcan / Uni, cet être avait pour secret de s’éparpiller / Et le soleil est né de ses particules les plus infimes »

Nous sommes il y a mille ans, dans les années 1960 et en 2023 dans les rues de Téhéran.

« Pourquoi n’ai-je pas regardé ? / Tous les instants de bonheur savaient / Que tes mains seraient brisées »

En protestation contre l’assassinat de Mahsa Amini, des femmes se sont coupé les cheveux en public.

« Est-ce que je peignerai encore mes cheveux / Avec le vent ? »  

Plus loin : « Ah / Ces gens qui craignent les accidents aux coins des rues / Et ces freins qui crissent / A l’instant où il faut, il faut, il faut / Qu’un homme soit écrasé par les roues du temps »

La poésie brûle, c’est son objet.

« La voix, la voix, la voix, seule la voix reste // Dans ce pays de petits imbéciles / On est jamais bien loin du zéro / Pourquoi je m’arrêterai ? / Moi qui n’obéis qu’aux quatre éléments / Je ne laisserai pas les aveugles qui gouvernent ici / Dicter les lois qui régissent mon cœur // Ai-je quelque chose à voir / Avec le long gémissement du sexe sauvage de l’animal ? / Ai-je quelque chose à voir / Avec le petit vide que laisse l’asticot dans la viande ? / J’ai été poussée dans cette vie par la famille sanglante des fleurs / La famille sanglante des fleurs, vous entendez ? »

Vous entendez ?

Marie Sumalla et Ghazal Golshiri, Tu ne meurs pas, textes en français et anglais, design graphique Marine Le Thellec, GwinZegal /Tipping Expected, 2023, 256 pages

https://gwinzegal.com/en/editions/tu-ne-meurs-pas

Parole d’un peuple certain de sa victoire : « A la fin, au moins l’un de nous survivra à votre règne pour danser et ce sera très beau. »

Livre publié à l’occasion de l’exposition éponyme présentée à Visa pour l’image, festival international de photojournalisme de Perpignan – du 2 au 17 septembre 2023

Forough Farrokhzâd, Croyons à l’aube de la saison froide, édition bilingue persan/français, traduction Laura Tirandaz et Ardeschir Tirandaz, Editions Héros-Limite, 2023, 86 pages

https://heros-limite.com/auteurs/farrokhzad-forough/

En marge de la publication, une performance bilingue créée et interprétée par les artistes franco-iraniens Laura Tirandaz et Arash Sarkechnik est en tournée. Nous sommes la pluie sur le sol nu présente sous la forme d’une lecture-concert des poèmes de Forough Farrokhzâd, des chansons traditionnelles persanes, des textes sur sa vie et son œuvre, ainsi qu’une création musicale originale.

Pour plus d’information, consulter le blog de Laura Tirandaz : http://shabesiaa.blogspot.com/

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