©Tomasz Tomaszewski

Exposer sans manichéisme la condition humaine, tel est le projet de l’opus magnum du photographe Tomasz Tomaszewski, The world is where you stop.

Publié avec brio par Aneta Kowalczyk (Blow Up Press), cet ouvrage lourd, épais, et de grand format, est un monolithe noir, bloc de carbone métaphorisant les mondes infernaux comme notre frénésie énergétique.

Toujours plus d’extractions, toujours plus de destructions, toujours plus de ténèbres.

Dans une esthétique expressionniste, mêlant la mystique à l’humour, l’artiste polonais expose cinquante ans d’archives rendant compte du chaos dans lequel nous vivons un peu partout sur la planète.

©Tomasz Tomaszewski

Nous sommes en Indonésie, au Mexique, aux Etats-Unis, en Allemagne, au Portugal, en Pologne, au Bengladesh, en Turquie, en Angleterre, aux Pays-Bas, en Bulgarie, en Suède, aux Philippines, au Canada, en Roumanie, en Inde, en Bolivie, en Slovaquie, au Népal, au Vietnam, au Bénin, à Hong Kong, au Ghana, en Ukraine, en Tunisie, en Italie, en Birmanie.

Pourquoi tant de lieux ? Parce que le mal comme les extases sont universelles, et que l’hypnose est notre état naturel.

©Tomasz Tomaszewski

C’est la mêlée générale des vices et des vertus, des affects négatifs et des pointes de jouissance.

Le feu est un instrument du Jugement dernier, l’amour comme l’innocence sont des sentiments et états d’être menacés.

Pour chacune de ses cent cinquante images en noir et blanc, The world is where you stop offre le déploiement d’une double page proposant une expérience immersive.

Pas de transition, pas de blanc, mais une impression de suffocation, de poussières noires brûlantes, de prison.

©Tomasz Tomaszewski

Tomasz Tomaszewski est polonais, mais il pourrait être napolitain, tant son regard se nourrit de carnavalesque, de morbidité et de joies populaires.

La vie est atrocement baroque, rien n’est stable, tout est étrange.

Rempli de monstres et de situations extrêmes, The world is where you stop pourrait être l’exact reflet de l’antichambre de la mort.

Charon nous accueille – portrait du photographe – pour une descente dans les mondes souterrains, en ces pays plutoniens où les sacrilèges font rire les déments.

©Tomasz Tomaszewski

Le vil a pris la place des cieux, les corbeaux feront de nos dernières espérances un festin.   

On survit dans le masochisme, on vieillit dans la mutilation, on s’attend à tout moment à être sacrifié.

Il y a du satanisme dans l’œuvre de Tomasz Tomaszewski, des cérémonies de douleur sous des nuages chargés d’électricité.

Pendaisons de poupées, montagne de vers dévorant un poulet, décharges où fouillent des sangliers.

Une sainte trans et poilue pose comme une odalisque.

Une belle au baiser fougueux a peint des têtes de mort sur ses seins voluptueux.

©Tomasz Tomaszewski

Un vieil homme aux bras mécaniques enlace un enfant apeuré.

Un oiseau est suspendu sur un fil à linge par les ailes.

Un écorché de bois au sexe épais conduit une gondole sous le pont du Rialto.

 The world is where you stop est un pandémonium.

Les urinoirs sont des vasques de sang, les cercueils s’échouent sur la boue près de vaches étiques.

On crie, on pleure, on frappe, on délire.

On dépèce, on ensevelit, on se masque.

On se travestit, on s’exhibe, on se dévore.

Tomasz Tomaszewski voit le monde comme un limon infect, où Christ de miséricorde est une chair pourrissante flottant dans une mer de déchets.

©Tomasz Tomaszewski

On peut prier, mais tout est si douloureux.

On peut jouir, mais c’est partout la guerre.

Tétons percés, têtes coupées, chairs broyées.

C’est la fin, nous sommes sur le bord du Gange, nous mettons le feu à nos cadavres.

Au Coeur des ténèbres, de Conrad, se réécrit chaque jour.

Tomasz Tomaszewski, The world is where you stop, textes Tadeusz Gadacz et Kent Kobersteen, maquette Aneta Kowalczyk, Blow Up Press, 2023, 320 pages – 1500 exemplaires

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https://blowuppress.eu/collections/bup-publications/products/the-world-is-where-you-stop