
« L’arc de l’univers moral est long, mais il tend vers la justice. » (Martin Luther King Jr.)
Pour la plupart d’entre nous, le temps est un ogre nous dévorant, mais pour Patti Smith, c’est un allié, une chimère ailée, une fantaisie à rythmer.
Conjointement à la publication en collection « Grande Blanche illustrée » de Une Saison en enfer, d’Arthur Rimbaud, beau volume accompagné de photographies, dessins, écrits de l’artiste américaine francophile paraît Un livre de jours, une année de vie de Patti Smith, livre composé d’images – légendées – issues de son compte Instagram, thisispattismith, anciens polaroïds ou photos faites au téléphone portable.
Il y a les livres de prières, les livres d’heures médiévaux, et désormais le livre des jours d’une passionnée de littérature, de vie libre et de dialogues intérieurs avec les morts.
« En phase avec le collage fragmenté de notre époque » (dixit), Un livre de jours fait entrer le lecteur dans l’existence poétique d’une auteure majeure.
« Les pages qui le composent, écrit-elle en préface, sont des clés permettant de libérer ses propres pensées. Chacune est environnée de la résonance d’autres possibilités. Les anniversaires que je souligne invitent à en fêter une multitude, y compris les vôtres. Un café symbolise tous les cafés, de même qu’un cimetière en évoque d’autres. J’ai vécu de nombreux deuils et les cimetières sont pour moi des lieux familiers ; j’en ai visité beaucoup, où je venais avec mes prières, mon respect, ma gratitude. Je me sens bien dans le passé et j’aime suivre les pas de ceux dont l’œuvre m’a inspirée ; un grand nombre d’images sont liées au souvenir. Car tout en allant de l’avant, il est important de connaître ceux qui nous ont précédés, soit pour qu’ils nous servent de guides, soit pour les contester. »
Mais que voit-on que l’on ne voit pas, alors que « le rêve est une seconde vie » (Gérard de Nerval) ?
Une position dans l’espace.
Un corps vibrant de mots.
Un devenir-fantôme.
Une puissance d’incarnation, avec les autres et dans l’invisible.
Les thèmes sont croisés, brassés, embrassés.
– La souveraineté de la nature (la mer, les moulins à eau imaginés par Kurosawa pour son film Rêves, une forêt, de la neige, un ciel…).
– Les livres, les écrivains, les monuments à leur gloire, leurs fétiches (Sylvia Plath, Haruki Murakami, Jorge Luis Borges, Albert Camus, Virginia Woolf, Gérard de Nerval, William Burroughs, James Joyce, Lewis Carroll, Lawrence Ferlinghetti, Antonin Artaud, le poète Frank O’Hara, Samuel Beckett, Jean Genet, Roberto Bolano, Mikhaïl Boulgakov, Anna Akhmatova, le poète Arseni Tarkovski et son fils Andreï, Allen Ginsberg…).
– Les témoins de l’intensité, vivants ou décédés, artistes divers, consciences éclairées (Greta Thunberg, Jeanne d’Arc, Joan Baez, Martin Luther King Jr., Mohammed Ali, Ravi Coltrane et Steve Jordan, Mark Rothko, la sculptrice Beverly Pepper, le penseur démocrate Thomas Paine, Yoko Ono, Kurt Cobain, Lincoln, Bobby Fischer, Werner Herzog, Georgio O’Keeffe, la mathématicienne iranienne Maryam Mirzakhani, Diane Arbus, Bernadette Soubirous, Joseph Beuys, Bob Dylan, Robert Frank…).
– Les cafés et tasses de café bien noir (le Flore au petit matin, ou chez Lipp).
– Les villes et les pays (Gand, Londres, Florence, Hiroshima, Islande, New York, San Francisco, Detroit, Paris, Virginie-Occidentale, Michigan, Rome, Buenos Aires, le mont sacré Uluru en Australie, Mexico…).
– Les objets regardés comme des talismans (chaussures van goghiennes ou rimbaldiennes, Polaroïd Land 250, canif de Sam Shepard, bol en verre de Murano pailleté d’or, tau de saint François, collier persan, boîte à couture, Pégase en argent, tee-shirt à tête de mort mexicaine offert par le styliste Alexander McQueen, feuille de palmier tressée, croix cérémonielle éthiopienne, panier à linge, porte-clés, paire de lunettes…)
– Les écritures (sur cahiers à spirale, carnets, feuilles libres).
Et dans chaque image une forte sensation de religiosité, une gratitude envers les vivants, la joie de contempler ses enfants (Jesse, Jakson, la chatte Cairo), le rappel des âmes des amoureux Robert Mapplethorpe et Fred Sonic Smith, un éloge de la simplicité en toute sa puissance.
Le livre de jours est un bol chantant tibétain – à chacun désormais de faire résonner le sien.
Légende de l’image du 27 février : « A côté de Baudelaire et d’un christ cambodgien, les insignes de Commandeur des Arts et Lettres que m’a remis le 19 juillet 2005, au nom de la République française, Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la Culture. Cette distinction fut pour moi une belle leçon d’humilité, un encouragement et une immense joie. »

Patti Smith, Un livre de jours, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Claire Desserrey, Gallimard, 2023, 400 pages
https://www.instagram.com/thisispattismith/?hl=fr
https://www.librairie-gallimard.com/listeliv.php?form_recherche_avancee=ok&auteurs=Patti%20Smith
Exposition à la Galerie Gallimard (30/32, rue de l’Université, Paris), du 5 septembre au 7 octobre 2023

Parution conjointe chez Gallimard de Une Saison en enfer, d’Arthur Rimbaud, accompagné de photographies, écrits, dessins de Patti Smith
