Oiseau, l’œil écoute, par Joséphine Michel, photographe

©Joséphine Michel

Victimes de l’anthropocène, les oiseaux disparaissent.

Ils meurent, mais ils sont là, un peu partout dans l’édition photographique contemporaine (chez Francesca Todde, chez Julien Magre, chez Aurélie Scouarnec, aux éditions Atelier EXB dans une superbe collection dédiée) et les travaux d’artistes (Gilles Aillaud à Beaubourg et à la galerie de la Librairie Métamorphoses, à Paris ; Vera Muratet ; au château de Flamanville dans le Cotentin).

Avec Syrinx, publié par les éditions Fario, Joséphine Michel compose à son tour un hymne à la gent ailée.

Sur papier épais ou glacé – une invitation à la caresse -, Syrinx approche l’héraldique des oiseaux, leur stupéfiante beauté, et l’organisation supérieure de leur plumage.

Dieu, pensait Newton après Platon, s’exprime en langage mathématique.

©Joséphine Michel

Il n’y a pas dichotomie entre la sensibilité et la géométrie, mais une même musique des sphères.

On ne sait d’abord pas où l’on est, ni dans quel espace technique – une photographie ? une gravure ? un dessin ? -, avant que de comprendre que notre regard se situera du côté du mystère de la vie et des formes.

La désorientation participe de la lecture, comme si nous étions nous-mêmes emportés dans les airs par un oiseau tourbillonnant.

Joséphine Michel fixe des vertiges, des couleurs, des structures supérieures propres à telle ou telle espèce.

A la limite de l’abstraction, ses photographies célèbrent la matière comme esprit, et les roches desquelles s’élancent les volatiles comme des royaumes secrets.

Ils sont là, solitaires ou en bande, piaillant en groupe sur un arbuste étique, et s’envolant de concert.

Pixellisées, les plumes sont des cristaux polychromes.

Pratiquant le close-up, la photographe nous offre la possibilité d’une relation intime avec les sujets qu’elle aborde précautionneusement.   

©Joséphine Michel

Rien n’est séparé dans le chant du monde, la diversité rejoint l’unité, la féérie est encore possible, puisque la beauté est le sens même de l’univers.

Il faut l’art pour la rappeler.

Nous contemplons des oiseaux, mais comment ceux-ci nous regardent-ils ? Joséphine Michel photographie leurs yeux, qu’il est difficile de ne pas anthropomorphiser : tiens, voici quelqu’un qui louche, voici un homme accablé, voici un sage, voici un effaré, voici un guetteur.

« Avez-vous déjà eu l’impression, en marchant dans les bois, surtout à l’aube ou au crépuscule, que l’on vous observait ? se demande dans son bel essai situé en introduction du livre l’anthropologue Tim Inrod. Partout, il y a des yeux. Nombre d’entre eux appartiennent à des oiseaux. Et ce n’est qu’occasionnellement que vous apercevez ces esprits à plumes, volant de branche en branche ou perchés sur un rameau. »  

©Joséphine Michel

Il faudrait la langue d’or de Saint François d’Assise pour leur parler intimement, peut-être n’attendent-ils d’ailleurs que cela, une conversation profonde, de cœur à cœur.

Comme le son, la lumière est une vibration.

 « Est-ce extravagant d’imaginer, questionne le chercheur américain, que lorsque nous entendons l’oiseau chanter, l’oiseau lui-même – avec son œil dans l’oreille – « voit » son propre son comme un motif dans la lumière ? »

On peut maintenant reprendre l’ensemble du livre, en écoutant la pièce aérienne de Claude Debussy, intitulée… Syrinx (1913).

Tout va bien, nous sommes morts, mais nous sommes sauvés.

Joséphine Michel, Syrinx, texte (anglais/français) de Tim Ingold, traduction de l’anglais par Idiomatiques & Vera Milan-Primevère, éditions Fario, 2023, 118 pages

https://www.josephinemichel.com/

https://editionsfario.fr/livre/syrinx/

https://www.leslibraires.fr/livre/22456194-syrinx-josephine-michel-tim-ingold-fario?affiliate=intervalle

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