Mario Rigoni Stern, vie intègre, par Loïc Seron, écrivain, photographe

©Loïc Seron

Ecrivain de dimension internationale, pour la force de ses récits et sa façon d’accorder ses écrits à sa vie, Mario Rigoni Stern (1921-2008) touche par son humanisme, sa cohérence existentielle et son éthique de la fraternité inconditionnelle.

Pas de pose chez lui, pas d’affection, et surtout pas de position de surplomb sur des lecteurs – très nombreux – infériorisés, mais une œuvre s’élaborant à égalité de sensibilité, entre vivants, humains ou non.

Tout commence, dans la province de Vicence, sur l’Altipiano, haut plateau parcouru en tous sens, pays natal, pays de fécondité, pays des retrouvailles fondamentales, où l’écrivain vécut, après le terrible épisode de la Seconde Guerre mondiale, dans une masure en lisière de forêt, jusqu’à son décès.  

On venait le voir depuis très loin, on le consultait, il rassurait.

Incarnant une relation équilibrée entre l’homme et la nature, observée et connue finement, Mario Rigoni Stern, qui fut chasseur alpin, symbolisait la dignité, la simplicité et le courage.

Privilégiant sa montagne, il refusa des postes prestigieux dans le milieu littéraire à Milan, la culture en pot (Nicolas Bouvier) l’intéressant bien moins que la vie rugueuse en altitude.

©Loïc Seron

Publié par les Editions Rue d’Ulm, Altipiano, de Loïc Seron, livre alternant textes et photographies de l’environnement familier de l’écrivain, est une excellente façon d’aller à la rencontre de l’écrivain d’Asiago.

« Il y avait quelque chose de stupéfiant, précise Paolo Cognetti, à voir ce montagnard avec sa maison, sa pile de bois, son jardin et ses abeilles, et à penser qu’il s’agissait de l’auteur de Sergent dans la neige, un des classiques de notre littérature contemporaine. Tout en lui – et avant tout l’endroit où il vivait et la façon dont il y vivait – respirait l’intégrité. Il ne faisait qu’un avec l’Altipiano, avec ses récits et avec ses choix. »

Les photographies, très sereines, en noir & blanc et couleurs, montrent un paysage façonné par le labeur paysan, l’impact des saisons, les sentiers, les bêtes paissant, la puissance des cimes.

Un paysage à embrasser du regard, à arpenter, à rêver, entre réalité la plus concrète et brumes de contes.

Un territoire ravagé par les combats de la Première Guerre mondiale, où grandit un enfant rapidement passionné par le ski et l’alpinisme.

Rigoni Stern, c’était un corps nourri de géographie, et une langue venue des Cimbres.

Il vécut en témoin direct les horreurs de la Seconde Guerre mondiale, voyant périr nombre des siens, notamment dans la si douloureuse retraite de Russie, refusant après l’armistice du 8 septembre 1943 de faire allégeance à l’Allemagne.

Emprisonnement dans des camps nazis, évasion, l’amour du pays comme obsession et refuge intime.

« Il ne se remit jamais, analyse Loïc Seron, de ces expériences atroces, de ces séparations insupportables. Il mit plutôt un point d’honneur à ne pas les oublier ; elles imprégnèrent toute sa vie du sentiment irrépressible de la nécessité de témoigner. (…) En cette année 1945, c’est l’Alipiano qui guérit le survivant, autant que l’amour et l’amitié de ses proches. »

Primo Levi et Elio Vittorini admiraient cet homme dont le premier livre, Le Sergent dans la neige, souvenir du front de l’Est, eut un succès considérable.

Par la suite ce furent des recueils de nouvelles, notamment La Chasse aux coqs de bruyère, des récits romancés (Histoire de Tönle, L’Année de la victoire, Les Saisons de Giacomo), des articles et chroniques pour la presse, des volumes d’entretiens (Le Courage de dire non, Retour sur le Don), œuvres transmises notamment par la maison d’édition lyonnaise La Fosse aux ours.

©Loïc Seron

Mario Rigoni Stern, écosophe sans besoin de réclame, aimait les arbres, dont il connaissait l’idiosyncrasie, et ne vivait que pour la paix, l’équilibre, le respect absolu entre les êtres.

Lui qui consacrait deux jours par semaine à répondre aux lettres de ses lecteurs, écrivit dans Lointains hivers (1999) : « Ainsi moi, petit homme parmi des milliards d’autres hommes, je prépare mon hiver qui sera semblable à celui de tant d’autres habitants sur la terre. »

Ne séparant pas le local de l’universel, Mario Rigoni Stern se pensait comme un être naturel parmi d’autres êtres naturels.

En considérant que le pacifisme, sans naïveté, est l’absolu de l’art de la guerre.

Loïc Seron, Altipiano, Cheminer avec Mario Rigoni Stern, préface de Paolo Cognetti, avant-propos de Giuseppe Mendicino, postface d’Eric Vial, collection « Italica » dirigée par Eric Vial, Editions Rue d’Ulm, 2021, 240 pages

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